"Instruments nécessaires à l'exécution des arrêts criminels"
(1811-1818)
« Le supplice que j’ai inventé est si doux qu’il n’y a vraiment que l’idée de la mort qui puisse le rendre désagréable. Aussi, si l’on ne s’attendait pas à mourir, on croirait n’avoir senti sur le cou qu’une légère et agréable fraîcheur »[1]. C’est pour le moins avec un léger euphémisme que Joseph Ignace Guillotin décrivait la machine à laquelle la postérité à rattacher son nom : la guillotine ! Si ces propos peuvent nous paraitre déplacés ou même choquants. La parole du docteur Guillotin est pourtant sincère et ses intentions louables. Il propose à l’Assemblée constituante, dès le 1er décembre 1789, que « les délits de même genre seront punis par les mêmes genres de peines, quels que soient le rang et l'état du coupable », et demande que « la décapitation fût le seul supplice adopté et qu'on cherchât une machine qui pût être substituée à la main du bourreau ». En effet, sous l’Ancien Régime, les condamnés à mort étaient exécutés différemment en fonction de leur rang et état : les nobles périssaient par l’épée du bourreau tandis que les roturiers pouvaient subir le supplice de la roue ou la pendaison. Par volonté d'exemplarité, la justice met en scène les châtiments qu'elle inflige. En 1730, Jean Mazin, de Chastel et Benoît Bardel, de Rageade, accusés d’assassinat et de vol, furent condamnés à avoir « les jambes, bras, cuisses et reins rompus vifs sur un eschaffau qui, pour cet effet, sera dressé en la grande place ce cette ville de Saint-Flour et chacun d’eux mis ensuitte sur une roue, la face tournée vers le ciel pour y finir leurs jours »[2]. C’est donc bien dans un souci d’égalité, mais aussi de justice et d’humanité, qu’en mars 1792, l’Assemblée constituante décrète que désormais « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». C’est alors que le docteur Guillotin propose sa machine, assisté du docteur Louis, homme de science et expert médical. S’il n’en est pas à proprement parler l’inventeur, c’est bien lui qui fera adopter son usage par les législateurs.
La justice cantalienne n’attend pas longtemps pour mettre en œuvre ce nouveau mode d’exécution. Dès le 28 juillet 1792, Louis Prax, condamné à mort pour strangulation, est le premier cantalien à subir les affres de la guillotine. Cette première a lieu à Aurillac. Mais dès l’an IV, le siège du tribunal criminel du Cantal est fixé à Saint-Flour. Et sauf en de rares exceptions, c’est dans cette ville que se dérouleront désormais les futures exécutions capitales. Pour se conformer au décret impérial du 18 juin 1811 réglementant l'administration de la justice en matière criminelle, un nouveau règlement sur les frais d’exécution des arrêts criminels est établi par le ministère de la Justice. Une copie, extraite des archives de la sous-préfecture de Saint-Flour, en est ici présentée. L’article 2 fait état des « instruments servant aux exécutions » : un « grand échafaud pour les exécutions à mort », « un petit échafaud pour les expositions », « une machine à décapiter, avec ses accessoires », « des poteaux pour les expositions »… Car si la Révolution fait de la guillotine l'instrument unique du supplice, la justice conserve toute de même pour un temps les aspects théâtraux du châtiment. L'exposition des condamnés se maintient jusqu'en 1832, et les exécutions demeurent publiques jusqu’en 1939. A Saint-Flour, comme sous l’Ancien Régime et jusqu’en 1821, elles ont lieu sur la Place d’Armes dans la partie comprise entre le bailliage et la cathédrale. On y installe le grand échafaud sur lequel est hissée la guillotine à la vue du plus grand nombre. Ce dernier « est établi de manière à être fixé à chaque angle dans des pierres de taille, incrustées au pavé de la grande place de Saint-Flour ». A ses côtés se trouve le petit échafaud sur lequel on expose les condamnés. Lorsque le jugement le prescrit, c’est sur cet échafaud que le bourreau appose une marque aux fers rouges ou flétrissure sur l’épaule droite du condamné.
L’article 7 du nouveau règlement prescrit que « les préfets feront dresser un devis estimatif des instruments ». A cet effet, le sous-préfet de Saint-Flour commissionne, Antoine Delmas, maitre charpentier, et Jean Valadier, maitre serrurier. Charge à eux d’établir un devis estimatif des réparations nécessaires et des transformations permettant à ces instruments de « pouvoir être transportés et placés partout où il y aura lieu ». A la lecture du devis, le tout, bien que régulièrement utilisé[3], semble en très mauvais état : « l’escalier extérieur par lequel on monte sur l’échafaud doit être refait à neuf », « cet échafaud dont la superficie est de 48 mètres quarrés a besoin d’être remanié en entier », « la planche à bascule où le condamné est attaché doit être refaite à neuf avec coulisse » et « que n’y ayant point de billot, il doit être établi un en bois de chêne ». Quant à l’échafaud pour les expositions « il n’en existe pas ». Les artisans préconisent d’en construire deux, chacun pouvant « y exposer deux personnes, en y adaptant deux poteaux avec carcan à boulon, écrou, chaine et cadenas ». Ils notent cependant que « les fers pour les flétrissures existent pour avoir été faits nouvellement ». Toutefois, « il manque le réchaud, les pèles, pincettes et soufflets exigés par le règlement ». En 1818, un nouvel inventaire est prescrit par le préfet. L’état du grand échafaud laisse toujours à désirer : l’escalier est à rétablir et le plancher en mauvais état. La machine à décapiter est aussi à réparer. En revanche, le petit échafaud a été construit et il est jugé en état. Le billot en bois de chêne n’est plus manquant mais en mauvais état. Quant aux réchauds, pelles et soufflets, ils sont toujours manquants. Ceci expliquant cela, une note fait observer que « les objets désignés dans le présent inventaire sont tout bonnement placés sous un angar dressé au milieu des décombres d’une ancienne maison détruite appartenant à la ville, laquelle n’a qu’une mauvaise toiture et ne peut préserver des injures et des dégradations du mauvais temps ».
Cote ADC : 3 SC 8889
Document rédigé par Nicolas Laparra
[1] Base de données des députés français depuis 1789, Assemblée nationale.
[2] Le Bourreau et la guillotine à Saint-Flour / L. Bélard ; réédité par Géraud Jarlier, 1982.
[3] Jean-Pierre Serre dénombre approximativement 73 exécutions entre 1799 et 1815 : « Les exécutions capitales à Saint-Flour du Consulat à la troisième République » dans Bulletin de l'association Cantal-Patrimoine, 2007, p. 22-33.
L’église romane de Jou-sous-Monjou : une survivante en péril !
Les fragilités d’une des plus belles églises romanes de Haute-Auvergne
Notre-Dame-de-l’Assomption de Jou-sous-Monjou en Carladez est une des plus anciennes églises du Cantal. L’édifice a été construit sur l’emplacement d’un site carolingien au XIIe siècle, remanié au XVe siècle (entre 1422 et 1435), avec l’ajout de deux chapelles latérales. Elle porte les traces de la générosité de ses seigneurs : Bonne de Berry, vicomtesse de Carlat, nièce du roi Charles V, son fils Bernard d’Armagnac puis la famille Delarbre seigneur d’Escalmels. Elle a connu la guerre de Cent ans, les guerres de Religion, ainsi que bien des orages et tempêtes qui l’endommagent régulièrement. Fragilisée en raison de sa situation sur un terrain en forte déclivité, elle a fait l’objet de réparations successives. Un devis chez Me Couffinhal fait état de la remise en état du chœur et de la toiture en mai 1627[1]. Toutefois, en 1843 elle menace ruine[2]. Le maire, le 4 avril 1843, s’adresse au préfet pour l’informer de la nécessité de grandes réparations (toiture et fissures) et demander qu’un architecte se rende sur les lieux. Un premier projet est proposé par l’abbé Raoux, architecte diocésain pour 4446,30 francs en 1844. | |
Plan et coupe de l'église originelle signé T. Carriat (1845) |
Le préfet estime cependant qu’il ne comprend qu’une partie des réparations et missionne l’architecte du département, plus expérimenté, pour un second projet plus complet. Ce sont ses plans que nous présentons ici : un plan d’état des lieux et le projet de réparation. |
Le projet de Théophile Carriat en 1845
Théophile Stanislas Carriat est né le 9 décembre 1814 à Beton-Bazoches en Seine-et-Marne[3]. Fils d’un maçon, célibataire, il est architecte en chef du département du Cantal et des édifices diocésains de 1850 à 1863, date de son décès, à Aurillac, à l’âge de 48 ans, chez la veuve Fontange, rue des Frères[4]. Reynaud, inspecteur général des édifices diocésains, professeur d’architecture écrit en 1853 : « Je ne l’ai pas vu pendant assez longtemps pour porter sur lui un jugement bien assuré : je puis dire qu’il m’a paru intelligent de bonnes manières et disposé à se consacrer avec dévouement au service que vous avez bien voulu lui confier. La seule de ses œuvres dont j’ai pu prendre connaissance est une caserne de gendarmerie en construction à Aurillac et je dois dire qu’elle n’est pas de nature à donner une très haute opinion de son goût en architecture mais je n’en suis pas très effrayé parce que les édifices à la conservation desquels vous l’avez proposé n’ont pas la moindre importance au point de vue de l’art[5] ».Ce jugement confirme que l’époque n’est pas encore sensible à la beauté des églises romanes de notre région[6]. Les réparations sont évaluées à 10246,09 francs et se décomposent en trois temps :
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Plan et coupe de l'église projetée signé T. Carriat (1845) |
Le projet est fortement marqué par l’esprit néo-gothique, pour donner du lustre à cet édifice comme il le fera pour l’église d’Arpajon-sur-Cère. |
Les embrouilles financières
Le premier projet de l’abbé Raoux avait été accepté par le conseil municipal et, en 1844, celui-ci avait obtenu le droit de lever un impôt extraordinaire sur les plus riches contribuables et ce sur 5 ans. A cela s’ajoutent une aidede la fabrique de l’église, une souscription auprès des habitants et un secours de 1000 francs accordé par le ministre de l’Instruction publique.Mais le nouveau projet est d’une tout autre envergure. Les travaux de la première catégorie sont acceptés par les délibérations des 15 et 18 février 1846 et adjugé le 1er mars 1846 à Pascal Artigues. Le préfet estime qu’il faut de nouveau augmenter les impôts si les habitants ne veulent pas voir crouler l’église. Le conseil s’adresse directement au ministre pour obtenir une somme de 5999,79 francs pour les deuxième et troisième phases. Le ministre refuse et le chantier est arrêté.De plus, de nouvelles contestations apparaissent : les honoraires de l’architecte semblent trop élevées et, surtout, le travail de l’entrepreneur ne donne pas satisfaction. En conséquence, l’église continue à se dégrader.En 1896, le nouvel architecte du département,Aygueparse, propose un nouveau devis pour une simple consolidation : reprise des murs pour le chœur et l’abside, avec des contreforts, réfection de la voûte, de la charpente et du toit, adjonction de contreforts aux angles sud-ouest et nord-ouest[7]. Aujourd’hui l’église est de nouveau en grand péril. Distinguée par la Fondation du Patrimoine par un prix de 100 000 euros, elle fait l’objet d’un projet qui la mettra en valeur tout en gardant son authenticité[8]. Une souscription est ouverte pour sa sauvegarde.
Cote ADC : 2 O 81/2
Texte : Claude Grimmer Fontange
[1]A.D.Cantal : 3 E 167/3
[2]A.D.Cantal : 2 O 82/2
[3] A.D.Seine-et-Marne : 5 Mi 2393
[4] A.D.Cantal : 5 MI 49/2
[5]Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle sous la direction Jean Michel Leniaud, École des chartes, 2003.
[6]Le Dictionnaire statistique du département du Cantal de Jean-Baptiste de Ribier du Châtelet de 1824 ne mentionne pas l’architecture de l’église et Chalvet de Rochemonteix publie Les églises romanes de Haute-Auvergne en 1902.
[7]A.D.Cantal : E DEP 1443/6
[8] Valérie Rousset, Étude archéologique du bâti, Janvier 2018, Toulouse.
La flamme olympique à l'épreuve de la neige cantalienne (1968)
La flamme des jeux olympiques de Paris 2024 a été allumée le 16 avril dernier sur le site historique d’Olympie. Elle débutera son parcours en France, le 8 mai prochain à Marseille, avant d’atteindre Paris le 26 juillet pour l’embrasement de la vasque au Jardin des Tuileries. Ce symbole olympique peut paraitre hérité des jeux antiques mais il n’en est rien. C’est un cérémonial propre aux jeux olympiques modernes instauré par les nazis lors des jeux de Berlin en 1936. La flamme olympique, qui n’existait pas lors des jeux antiques, apparaît pour la première fois lors des jeux d’été d’Amsterdam en 1928. Le Troisième Reich, prompte à utiliser l’Antiquité grecque à des fins de propagande, codifie ce rituel qui veut que cette flamme soit allumée avec une torche, enflammée elle-même au moyen d’un miroir parabolique par le soleil d’Olympie, berceau des anciens jeux, puis portée, de relais en relais, jusqu’au stade où elle doit arriver à l’instant propice, au cours de la cérémonie d’ouverture.
Pour les jeux olympiques d’hiver, le premier relais de la flamme est organisé lors des jeux d’Oslo 1952. En 1968, à l’occasion des jeux de Grenoble, le comité d’organisation décide de donner à ce relais « l’ampleur des manifestations organisées pour les jeux d’Eté. Pour la première fois […], malgré la rigueur des conditions atmosphériques hivernales, la flamme effectuera un très long périple, alternativement sur routes et à travers la montagne »[1]. Comme de coutume, la flamme est allumée le 17 décembre 1967 à Olympie, puis elle est transférée à Athènes où elle est solennellement remise par le Comité Olympique Hellénique aux représentants du Comité d’Organisation. Embarquée le mardi 19 décembre à 13 h 30, à bord d’un avion Air France, elle arrive à Orly à 15 h 35, avant d’entreprendre, le lendemain, un périple de 7222 kilomètres, comportant 50 étapes, passant par la plupart des grandes villes françaises et traversant l’ensemble des massifs montagneux : Vosges, le Jura, le Massif Central, les Pyrénées, la Corse et les Alpes. Le parcours de la flamme est « une occasion unique […] de favoriser la promotion des stations françaises de tourisme hivernal ainsi que des sports de neige et de glace »[2].
C’est ainsi que le 2 janvier 1968, le convoi entre dans le Cantal venant d’Egliseneuve-d’Entraigues (Puy-de-Dôme) peu après 13 h 30 et prend la direction de Saint-Flour où la flamme doit arriver à 14 h 30 via Condat, Marcenat, Allanche, Neussargues et Talizat. Cette première étape est dite « neutralisée » parce qu’effectuée à l’aide de véhicules. Comme requis par le Comité d’organisation, la flamme doit être transportée dans une voiture découverte en présence d’un athlète en tenue sportive, accompagnateur de la flamme, se tenant debout. La vitesse de la caravane ne doit pas dépasser les 30 km/h. C’était, hélas, sans compter sur les caprices de la météo cantalienne car comme le relate la presse : « la flamme fut transportée dans une « Jeep » de la gendarmerie, non débâchée en raison des intempéries »[3]. La neige a aussi raison du minutage très précis du programme puisque le convoi a déjà deux heures de retard à son arrivée à Saint-Flour. Après une courte cérémonie Sanfloraine, la caravane reprend la route en direction de Murat où malgré le retard elle suit le programme prévu. La traversée de Murat dure 15 minutes : prise en charge de la flamme au Pont de Notre-Dame par les membres de l’Union Sportive Murataise pour un premier relais de 400 mètres par un porteur escorté de 6 jeunes, deuxième relais dans les mêmes conditions 3 minutes plus tard au carrefour du faubourg Notre-Dame, arrivée place de l’Hôtel de Ville pour une réception de 5 minutes par le maire, prise en charge de la flamme par Murat Ski pour deux relais de 400 et 500 mètres jusqu’à la sortie de la ville en direction du Lioran. Au Lioran, la tempête de neige oblige les personnalités à écourter la cérémonie programmée. Après avoir été portée jusqu’à la prairie des Sagnes par des skieurs et présentée à la foule, la flamme quitte le Lioran à 18 h, heure à laquelle elle devait arriver à Aurillac, où elle ne parvient finalement qu’à 19 h 15.
Malgré le retard, le froid et la neige, comme en témoignent les coupures et photographies de presse, plusieurs milliers d’Aurillacois sont encore présents autour du Square pour accueillir la flamme olympique. Ils assistent à l’arrivée des deux derniers relayeurs, l’Aurillacois Jean Malroux, en tenue de skieur, et la Sanfloraine, Simone Grimal (ex Simone Henry) revêtue de son survêtement de l’équipe de France d’athlétisme dont elle fut membre aux jeux de Melbourne 1956. Les deux champions terminent ainsi leur course au sommet du grand escalier du palais de justice où se trouve la vasque à laquelle Jean Malroux met le feu. En 1968, la flamme olympique est encore très empreinte de symbolisme et son passage, plus qu’une fête, se veut un évènement protocolaire marqué de solennité. Le Comité d’organisation rappel que « la Flamme représentant un idéal de pureté et de continuité dans l’effort et la tradition sportive, il importe que toutes les manifestations envisagées à l’occasion de son passage et de ses arrêts revêtent un maximum de dignité, leur note dominante les apparentant bien davantage à des cérémonies qu’à des kermesses. Le protocole prescrit d’ailleurs que l’on applaudit pas la Flamme, mais qu’on l’honore d’un fervent et respectueux intérêt »[4]. La vasque, sur une tribune pavoisée et ornée des anneaux olympiques, brûle toute la nuit sous la garde des membres de différents clubs de sport Aurillacois : Aéro Club, Para Club, Stade Aurillacois, Géraldienne, Ski Club, Cantalienne, Sporting et Union Cycliste Aurillacoise. Elle repart le lendemain en direction du Stade Jean Alric où après un tour de piste, elle est remise par le maire d’Aurillac à la voiture qui doit l’emmener en Corrèze.
Document rédigé par Nicolas Laparra
[1] Comité d’organisation des Xe jeux olympiques d’hiver 1968 Grenoble, conférence de presse du 9 octobre 1967 (cote ADC : 3 SC 8889).
[2] Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Cantal, 21 juillet 1967 (cote ADC : 3 SC 8889).
[3] La Montagne du 5 janvier 1968.
[4] Comité d’organisation des Xe jeux olympiques d’hiver 1968 Grenoble, Instructions à MM. les inspecteurs départementaux de la Jeunesse et des Sports (cote ADC : 3 SC 8889).
"L'agriculture en images"
par Elie Clermont (vers 1900)
Le document présenté en ce mois d’avril est un manuel scolaire de la fin du XIXe siècle dédié à l’enseignement agricole. Véritable encyclopédie illustrée de l’agriculture, cet « Album agricole » est extrait du fonds Elie Clermont conservé par les Archives départementales depuis 2016. Elie Clermont (1860-1940), appartient à une dynastie d’instituteurs ayant exercés en Châtaigneraie cantalienne deux siècles durant. Petit-fils, fils, neveu, cousin et frère d'instituteurs, il entre à son tour à l'école normale d'Aurillac en 1877. Pourvu du brevet élémentaire en 1880, il est adjoint à l'école de la rue de la Coste à Aurillac de 1880 à 1883, et débute en tant que titulaire en 1883 à l'école publique de garçons de Labesserette. Il enseigne ensuite à Cassaniouze de 1900 à 1905, avant de terminer sa carrière en tant que directeur de l'école de Marcolès. Il prend sa retraite en 1923.
Il débute sa carrière dans un contexte fortement marqué par l’essor de l’éducation populaire auquel il prend part en adhérant à la Société Nationale des Conférences Populaires. A cet égard, ses archives témoignent de l'importance qu’il accorde à l'enseignement agricole, basé sur des cours théoriques mais également sur des expériences pratiques. Outre cet album, on y trouve une importante documentation en lien avec cet enseignement dont une fiche de présentation titrée « But et caractère de mon Enseignement agricole ». Il écrit dans cette dernière : « La préoccupation que j’ai eue, depuis plusieurs années de donner à l’agriculture une place privilégiée dans mon enseignement est justifiée par deux considérations1 ». Il a observé, dit-il, « que dans une commune reculée où n’existent ni commerces, ni industries, où les habitants n’ont d’autres ressources que les produits de la terre, il est de toute nécessité de préparer de bonne heure nos jeunes ruraux à leur rôle futur d’agriculteur et de les détourner par cela même des velléités d’aventure et d’émigration auxquelles ils ne sont que trop enclins dans notre Auvergne ». D’autre part, il s’est promis de lutter « contre l’esprit de routine auquel nos paysans demeurent assujettis » par un enseignement agricole « absolument rationnel et pratique de manière à répondre aux directions pédagogiques qu’ils veulent concret et expérimental ». Pour se faire, il cherche à promouvoir les améliorations agricoles par l’entremise de conférences mais aussi de cultures et expériences comparatives. Et s’il note « une certaine bonne volonté chez quelques agriculteurs », il n’en est pas moins conscient qu’il est difficile de lutter « contre tout ce qui contrarie leurs habitudes et leurs préjugés ». La formation agricole de ces élèves, futurs paysans pour la plupart, est donc pour lui de toute première importance.
Cet « Album agricole » sous-titré « L’agriculture en images » en est un parfait témoignage. C’est un véritable outil pédagogique conçu par Elie Clermont dans lequel l’illustration tient une part prépondérante. Il rappelle en préambule que : « Chacun sait combien les enfants éprouvent d’attrait pour les images et avec quelle facilité ils en perçoivent les plus légers détails. Mettant à profit cette heureuse faculté d’observation, j’ai composé le présent album appelé à présenter l’enseignement agricole sous une forme intéressante et intuitive. Fixé aux murs chacun des tableaux est destiné à concrétiser une leçon théorique et à suppléer par l’image à la vue matérielle et irréalisable des objets. Contrôlées et agrémentées par le défilé des gravures, mes explications sont toujours écoutées avec empressement et profit et je note avec plaisir qu’elles laissent une impression durable dans la mémoire de l’enfant. Ces résultats, des plus réconfortants me dédommagent de la peine que je me suis donnée ». Il se présente sous la forme de 59 planches illustrées destinées à matérialiser les leçons théoriques administrées en classe telles que « les animaux domestiques », « l’étable », « la porcherie », « les instruments aratoires », « la forêt », « le sol », « les engrais minéraux », « le verger », « la plante », « le labour », « le potager », « les céréales » … Toutes les planches sont composées de façon identique. Au recto, on trouve de nombreuses illustrations, gravures couleurs façon images d’Epinal, surmontant un petit texte explicatif ou une citation écrits à la plume. Pour « Le Labour », on trouve par exemple une citation de Lamartine et une morale de La Fontaine mais aussi une présentation du rôle du labour, des divers instruments utilisés à cet effet ou encore des semailles. Enfin, on peut lire au dos de chaque planche, un ou plusieurs textes littéraires, ici « Les Laboureurs » de Lamartine. Tous les aspects de l’agriculture et de la vie rurale sont ainsi abordés.
Elie Clermont présente cet album à l’exposition universelle de Paris en 1900 dans la section « Enseignement spécial agricole ». Il répond ainsi à l’appel à concours lancé par le comité d’admission constitué en 1898, lequel dans une lettre-circulaire exprime « son désir de voir organiser par le corps enseignant une exposition très complète et en même temps remarquable par le choix des travaux présentés, afin que notre Section puisse soutenir avantageusement la comparaison avec les expositions qui seront installées par les nations étrangères. Certains pays possédant un enseignement spécial très développé, il est nécessaire que nous fassions ressortir tous les éléments dont nous disposons en France pour l’enseignement de l’agriculture. […] Le comité vient donc faire appel à tous les membres du corps enseignant pour leur demander de participer à l’Exposition universelle de 1900, en leur recommandant d’apporter le plus grand soin à l’exécution des travaux qu’ils voudront bien présenter2 ». On ignore si cet album a été élaboré spécifiquement pour l’occasion ou si l’instituteur a profité de cet évènement pour présenter un travail conçu dans un premier temps pour sa classe, toujours est-il que la valeur de son travail est officiellement reconnue par l’attribution d’une médaille de bronze.
Document rédigé par Nicolas Laparra
Cote ADC : 88 J 8
1 Elie Clermont : « But et caractère de mon Enseignement agricole » (cote ADC : 88 J 9)
2 Cote ADC : 160 M 5
"Voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois"
lettre de rémission de Louis XV en faveur d'un criminel (1730)
Le document présenté ce mois-ci est une lettre de rémission accordée à Jean Griffeuille, domestique, originaire du village de la Cassaigne (aujourd’hui Lacassagne), paroisse de Labesserette. La lettre de rémission est un acte de la Chancellerie par lequel le roi octroie son pardon, sa grâce ou son indulgence, à la suite d’un crime ou d’un délit, allant contre le cours ordinaire de la justice. Toutefois, si la procédure de rémission exonère le justiciable de sa condamnation, elle n’en n’est pas pour autant une amnistie. Le crime ou délit n’est pas effacé, même s’il est désormais défendu d'y faire allusion et d’en exiger réparation. Sous le règne de Louis XV, le fonctionnement de la justice pénale est régi par l'ordonnance criminelle dite de 1670. Voulue par Louis XIV, cette grande ordonnance est l'un des premiers textes français reprenant de nombreuses règles de procédure pénale. Signée à Saint-Germain-en-Laye en août 1670, enregistrée par le Parlement de Paris le 26 août, c’est en quelque sorte le premier Code de procédure pénale français en vigueur du 1er janvier 1671 jusqu'à la Révolution française. Son titre XVI traite des « lettres d'abolition, rémission, pardon, pour ester à droit, rappel de ban ou de galères, commutation de peine, réhabilitation et révision de procès ». C’est dans ce cadre que le roi peut octroyer ses lettres de rémission.
Comme le rappelle Louis XV en préambule, il est de tradition pour les rois de faire montre d’indulgence et d’accorder leur pardon à certains condamnés lors de grands évènements royaux : « Nous avons crü de[voir] marquer par des mesures de clémen[ce et] de charité l’heureux Evenement de la Naissance de notre très cher et très aimé fils le Dauphin et nous conformer à ce qu’on fait en pareille occasion les Roys nos prédécesseurs ». La naissance du dauphin Louis de France, le 4 septembre 1729, est ainsi l’occasion pour le Louis XV de faire valoir ce droit. « Cependant et pour n’admettre à la participation des graces qui seraient accordées que ceux dont les crimes seraient jugés rémissibles, nous avons donné les ordres et les instructions nécessaires aux commissaires qui ont été par nous députés pour examiner les procès criminels et procéder aux interrogatoires des coupables qui étaient détenus dans les prisons de la ville de Paris ». La procédure prévoit en effet que les prisonniers qui se trouvent dans les prisons des villes où se déroulent les événements en question, dans ce cas présent Paris et Versailles, ou qui ont pu s’y rendre à temps, sont interrogés sous l’autorité du grand aumônier et de maîtres des requêtes commissionnés par le roi. Les raisons de leur détention sont alors consignées dans divers rôles, dont l’un est celui des prisonniers dont les crimes sont jugés rémissibles par les commissaires.
Parmi eux, Jean GRIFFEUILLE, « domestique fils d’un pauvre laboureur du lieu de la Cassaigne en notre province d’Auvergne ». Il est accusé d’avoir accidentellement tué Marie Fabre d’un coup de carabine. La lettre rapporte très précisément les circonstances du drame : « le dix sept octobre mil sept cent sept, étant pour lors âgé de seize ans et trois mois, il revint de son travail sur les quatre à cinq heures du soir en la maison de son père ou ayant aperçu une carabine qu’avait aporté un de ses beaufrères nouvellement arrivé d’Espagne qui lui parut d’une construction particulière, il la prit pour l’examiner. La sœur du suppliant et Delphine Fabre, fille du même village, qui étaient dans la chambre voulurent aussy la voir et lui demandèrent si la carabine était chargée ; le supliant leur dit qu’il ne le croyait pas attendu qu’il n’y avait point de poudre dans le bassinet, cela engagea ladite Fabre à s’approcher de lui et même à prendre par le bout ladite carabine comme pour la luy arracher. Le supliant qui était persuadé qu’elle n’était point chargée, fit de sa part quelques mouvements pour la retenir, lesquels ayant fait partir la carabine, ladite Fabre en reçu le coup dans la poitrine dont elle mourut le lendemain. Et quoique ce malheur fut arrivé par un cas fortuit imprévu et un accident involontaire de la part du supliant, les officiers du présidial d’Aurillac l’ont condamné à mort par contumace ». Cette peine peut paraître sévère à nos yeux mais elle n’est pas inhabituelle en ce début de XVIIIe siècle. En effet, les sanctions appliquées sous l'Ancien Régime, à l'homicide involontaire, sont d'une extrême sévérité. Les notions d'homicides volontaire et involontaire ne sont pas encore clairement séparées en droit et la procédure engagée reste identique. Les juges n’ont pas à tenir compte des circonstances particulières d’un homicide puisque la seule peine prévue est la peine de mort. Jean Griffeuille devait en avoir conscience puisqu’il ne s’est pas présenté à son procès, préférant certainement s’enfuir.
La société d’Ancien Régime conçoit tout de même que l’intentionnalité de l’acte a son importance. L’ordonnance pénale de 1670 prévoit que « les lettres de rémission seront accordées pour les homicides involontaires seulement, ou qui seront commis dans la nécessité d'une légitime défense de la vie ». C’est bien le cas de Jean Griffeuille dont le roi admet qu’il est obligé de « recourir à notre clémence et de nous suplier très humblement de luy accorder nos lettres de grace, remission et pardon qui luy sont nécessaires à ces causes voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois ». L’homicide involontaire est ainsi caractérisé par l'obtention de cette lettre qui met un terme à la procédure engagée : « toutes peines, amandes et offenses corporelles civiles et criminelles qu’il peut avoir pour raison de ce encourües envers nous et justice mettons au néant tous [ ?] sentence et contumaces jugements et arrêts qui peuvent s’en être ensuivis ». De plus, l’accusé est pleinement rétabli « en sa bonne renommée et en ses biens ». Pour pouvoir être authentifiées, ces lettres produites par la grande Chancellerie étaient ensuite scellées d’un grand sceau de cire jaune, lequel n’a malheureusement pas été conservé. Vingt-trois ans après les faits, même s’il n’est pas pour autant innocenté, Jean Griffeuille est désormais libre. Sa liberté et sa vie ne tiennent toutefois qu’à la bonne volonté du monarque « car tel est [son] plaisir ».
La grâce présidentielle inscrite dans la Constitution de la Ve République est un héritage de cette pratique d’Ancien Régime. Comme le monarque, le président a la possibilité de pardonner par le décret de grâce. Mais de moins en moins légitime aux yeux de l’opinion française, et en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs, son usage s’est peu à peu réduit à des cas exceptionnels.
Document rédigé par Nicolas Laparra
Cote ADC : archives anciennes de l’hôpital d’Aurillac en cours de classement