Le téléphone dans le Cantal:
des débuts difficiles (1899)
En lien avec les journées européennes du patrimoine 2024 qui ont pour thème « le patrimoine des itinéraires, des réseaux et des connexions », les archives départementales vous présentent, en ce mois de septembre, le premier projet de réseau téléphonique cantalien. Nous sommes en 1899, Léon Mougeot, sous-secrétaire d’Etat des Postes et des Télégraphes (et pas encore du téléphone…), propose de « doter le Cantal d’une organisation téléphonique »[1]. Il rappelle « l’importance très grande qu’a prise la téléphonie dans divers pays, notamment en Allemagne, en Belgique et en Suisse » tandis que « la France n’a pas jusqu’ici profité, aussi largement que ses voisins, des facilités nouvelles qu’offre ce merveilleux moyen de communication pour les relations d’affaire et de famille ». Considérant que « notre pays se doit à lui-même de ne pas rester plus longtemps en arrière », il demande le soutien du préfet et en appelle à son influence « pour faire aboutir l’œuvre nationale que j’ai entreprise ».
Si l’Histoire a retenu la date de 1876, et le dépôt du premier brevet d'invention par l’Américain Alexander Graham Bell, comme le début officiel de l’histoire du téléphone, il est aujourd’hui communément admis que son véritable inventeur est le Français Charles Bourseul. Agent du télégraphe en poste à Saint-Céré, il présente dès 1854, un mémoire dans lequel il décrit le principe d’un appareil pour converser à distance. Peut-être un peu trop visionnaire et trop en avance sur son temps, son rapport n’est retenu ni par son administration ni par l’Académie des sciences. Il décide tout de même de faire publier dans la revue L’Illustration, le 26 août 1854, un article intitulé « Transmission électrique de la parole », première ébauche du concept de téléphone[2]. C’est toutefois bien l’appareil mis au point par Graham Bell qui permet le développement du téléphone à travers le monde. L’exposition universelle de 1878, à Paris, consacre la renommée de son invention. C’est aussi l’occasion pour la France de se doter de son premier réseau téléphonique, le réseau urbain de Paris, exploité commercialement dès 1879. Le réseau se développe ensuite petit à petit : les premiers essais sont réalisés en province en 1880 et les premiers abonnés sont reliés au réseau dès 1881. En 1889, les opérateurs de téléphone, concessionnaires privés, sont nationalisés et rattachés à l’administration des Postes et Télégraphes. Dix ans plus tard, de l’aveu même de l’administration, la France est en retard et le téléphone n’est pas encore arrivé dans le Cantal.
Un premier projet de réseau est donc proposé par le sous-secrétaire d’Etat en 1899, il prévoit de relier ensemble les quatre chefs-lieux d’arrondissement Aurillac, Mauriac, Murat et Saint-Flour, puis de relier ces derniers à leurs chefs-lieux de canton ainsi qu’à quatre autres communes : Le Vaulmier, Ussel, Valuéjols et Junhac. Soit un total de 25 communes pour un coût global de 289 500 francs. Après une première consultation auprès des communes susceptibles d’être intéressées, le projet devient bien plus ambitieux et une nouvelle carte est établie. Si la base du réseau reste la même, il s’agit désormais de relier entre elles plus de soixante-dix communes. Mais comme souvent, l’Etat n’a pas les moyens de ses ambitions. La carte est accompagnée d’un devis qui fait état d’une dépense totale de 541 375 francs, soit près de 2 500 000 euros actuels. La dépense initiale a presque doublé. Pourtant dès le premier projet, Léon Mougeot prend bien soin de rappeler au préfet que son « administration ne disposant […] d’aucun crédit budgétaire pour la construction des lignes téléphoniques, le montant des dépenses devrait être fourni à l’Etat, à titre d’avance remboursable, sans intérêts ». C’est aux administrations locales, conseil général et communes, d’avancer l’intégralité des sommes nécessaires à l’Etat avec l’espoir d’en être ensuite remboursé par les éventuelles recettes du réseau ainsi créé. De plus, l’Etat ne consent à rembourser que le capital des sommes empruntées pour le financement des travaux à l’exclusion des intérêts de la dette, qui eux restent à la charge des administrations locales. Le conseil général du Cantal décide alors d’avancer l’intégralité du capital à emprunter mais pas les intérêts qui seront à financer par les communes. Aussi, sur 71 communes intéressées dans un premier temps, il n’y en a plus que 12 qui ont voté les ressources demandées, 23 ont ajourné leur décision, 29 ont préféré renoncer et 7 n’ont pas répondu.
Début 1902, le projet n’est toujours pas adopté et « le Cantal est un des rares départements qui n’ont pas donné suite, au moins partiellement, aux propositions de l’administration et qui n’ont aucune relation avec le réseau général ». Il faut attendre le 22 avril 1903 pour que le projet soit définitivement adopté par une délibération du conseil général, ce dernier emprunte et avance la somme totale de 584 990 francs nécessaire à l’établissement du réseau. Il prend aussi à sa charge la moitié des intérêts annuels, l’autre moitié étant à supporter par les communes. Sur les 267 communes du département, 66 acceptent d’être reliées au réseau et s’engagent à verser les sommes demandées pour une durée de trente ans. Les débuts du téléphone dans le Cantal sont donc assez laborieux. Cependant, après la mise en place de la distribution postale à domicile et le développement du réseau télégraphique au cours du XIXe siècle, c’est un nouveau moyen de communication qui s’offre aux Cantaliens. S’il existe bien une volonté politique – ici initiée par l’Etat – de favoriser le progrès de ces moyens de communication, comme pour la poste et le télégraphe avant lui, le développement du réseau téléphonique ne peut se faire sans l’aide des pouvoirs locaux et leurs apports financiers parfois conséquents. Les attentes sont pourtant nombreuses et ces moyens de communications sont de véritables enjeux en milieu rural. Ils sont considérés, à juste titre, comme des outils du désenclavement. A cet égard, comme la route ou le rail, ils ont contribué à la modernisation de la France en tant que moteur de civilisation et d’unité nationale[3].
Cote ADC : 6 P 655
Texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] A.D. Cantal : 6 P 655
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Bourseul
[3] Des P&T à la campagne : l'exemplarité de l'Auvergne avant 1914 / Nicolas Laparra, Cahiers pour l'histoire de la Poste, 2009 (cote ADC : 8 BIB 2803)