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Le carnet de nourrice,

témoin des progrès de la protection infantile (1900)

 Créée en 2005, la journée nationale des assistantes maternelles est fixée chaque année au 19 novembre. Il s’agit d’honorer un métier essentiel à notre quotidien et parmi les plus anciens. Ce mois de novembre est aussi l’occasion de revenir sur une loi fondatrice de la protection infantile en France, la loi dite « loi Roussel » du 23 décembre 1874, dont on s’apprête à célébrer les 150 ans. Le mot « nourrice » trouve ses racines dans le latin nutrix et désigne la femme qui allaite et nourrit l’enfant. Jusqu’au XVIIIe siècle, à l’exception des orphelins ou des enfants abandonnés, ce sont principalement les femmes issues de l’aristocratie ou de la bourgeoisie qui font allaiter leurs enfants par des nourrices. Mais au XVIIIe siècle, et plus encore au XIXe, la pratique de la mise en nourrice s’intensifie avec la croissance urbaine et le développement du travail des femmes. Les familles les plus pauvres, bien souvent des filles-mères, ne peuvent subvenir aux besoins de leurs enfants ni même payer les soins d’une nourrice. Elles sont parfois contraintes d’abandonner leurs nourrissons dans des hospices pour « enfants trouvés », lesquels les placent ensuite chez des nourrices de campagne. Le document présenté ce mois-ci témoigne de cette évolution.

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Il s’agit d’un « carnet de nourrice » délivré le 21 janvier 1900 à Marguerite Moranne, habitante du village de Mouret, commune de Chalinargues. Cette veuve, âgée de 50 ans, se voit confier une petite fille de 4 mois, Maria Marcelle Chavanon, née le 5 octobre 1899 à Clichy (Hauts-de-Seine). On sait d’après l’extrait d’acte de naissance reproduit dans le carnet qu’elle est née de père inconnu et d’une mère ménagère. Pour lutter contre une mortalité infantile encore très forte au XIXe siècle, particulièrement chez les enfants placés en nourrice, l’Etat va peu à peu réglementer cette pratique. C’est l’objet de la loi Roussel qui figure en préambule de ce carnet. L’article premier dispose que « tout enfant, âgé de moins de deux ans, qui est placé, moyennant salaire, en nourrice, en sevrage ou en garde, hors du domicile de ses parents, devient par ce fait l’objet d’une surveillance de l’autorité publique, ayant pour but de protéger sa vie et sa santé ». Ainsi, toute personne qui place un enfant dans les conditions énoncées par cet article doit désormais en faire la déclaration à la mairie de la commune de naissance de l’enfant, ou à la mairie de résidence du déclarant. Elle est tenue de remettre à la nourrice un extrait d’acte de naissance de l’enfant qui lui est confié. De même, les nourrices doivent se munir de certificats pour indiquer leur état civil et justifier de leur aptitude à nourrir ou à recevoir des enfants. Elles doivent aussi faire une déclaration à la mairie de leur commune dans les trois jours de l’arrivée d’un nouvel enfant. Ces déclarations sont consignées dans un registre tenu en mairie dit « registre des nourrices ». C’est ainsi qu’on retrouve la trace du placement de la petite Maria dans le registre de la commune de Chalinargues : elle est placée directement par sa mère le 15 décembre 1899, nourrie au biberon, puis reprise par sa mère en juin 1900.

Le règlement d’administration publique, faisant suite à cette loi, rappelle que les enfants âgés de moins de deux ans placés en nourrice font désormais l’objet d’une surveillance « exercée, sous l’autorité du préfet, assisté du comité départemental, par des commissions locales, par les maires, par des médecins inspecteurs, et par l’inspecteur des enfants assistés du département ». Le « carnet de nourrice » est un des instruments de cette surveillance. Il est délivré par le maire, et la nourrice doit se pourvoir d’un nouveau carnet chaque fois qu’elle accueille un nouveau nourrisson. L’article 30 du présent règlement précise que « le certificat délivré à la nourrice par le maire de sa commune et le certificat médical sont inscrits sur le carnet ». Mais dans le cas de Marguerite Moranne, le certificat du maire n’est que partiellement renseigné : y figurent son état civil, son intention de prendre un enfant en nourrice et la confirmation que son dernier enfant est déjà élevé, condition obligatoire pour accueillir un nourrisson. On sait aussi qu’elle a déjà élevé d’autres enfants moyennant salaire. Il n’est toutefois pas précisé, comme prévu par le règlement, depuis combien de temps ou encore si « elle est de bonne conduite, si elle a des habitudes régulières, si sa maison est bien tenue et quels sont ses moyens d’existence ». Plus grave encore, le certificat médical n’a pas non plus été délivré, ou du moins le formulaire pré-rempli à cet effet est resté vierge. De même, la loi ordonne que « le médecin inspecteur doit se transporter au domicile de la nourrice […] pour y voir l’enfant, dans la huitaine du jour où […] il est prévenu par le maire de l’arrivée de l’enfant dans la commune. Il doit ensuite visiter l’enfant au moins une fois par mois […] Après chaque visite, le médecin inspecteur vise le carnet ». Il semble toutefois que Maria Chavanon et sa nourrice n’aient jamais été examinées par un médecin, tout comme le certificat médical, le certificat de vaccine et le tableau des visites du carnet n’ont pas été renseignés.

L’objectif premier de ces mesures était pourtant bien de protéger la santé des enfants et de lutter contre la mortalité infantile, notamment par une surveillance médicale accrue. L’application de cette loi, ambitieuse, se serait-elle heurtée à un manque de moyens, à l’oubli ou bien à la négligence ? Toujours est-il que le cas de Marguerite Moranne ne semble pas faire exception. Sur un total de douze carnets de nourrice conservés dans les archives communales de Chalinargues et de Fontanges[1], seul un carnet comporte ces renseignements médicaux, pourtant prescrits par la loi. 

[1] Cote ADC : E DEP 1466/6

I

Cotes ADC :E DEP 1454/9  ; texte rédigé par Nicolas Laparra

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