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Ce 25 décembre 1791, à trois heures du soir, les administrateurs du département du Cantal sont réunis en assemblée, lorsqu’une députation du comité militaire de la garde nationale d'Aurillac s’annonce. Un attentat vient d’être commis sur la personne de Pierre Dommergues, curé constitutionnel de Boisset : « dans le temps que ce curé célébrait la Messe, il a été atteint d'un coup de fusil lâché hors de l'enceinte de l'église[1] ». Pierre Dommergues naît à Lapeyrusse, commune d’Arpajon-sur-Cère, en 1756 ; il est ordonné prêtre du diocèse de Saint-Flour en 1782. Ouvert aux idées nouvelles, il n’hésite pas à prêter serment à la Constitution civile du clergé[2]. Cette dernière, adoptée par un décret de l'Assemblée nationale constituante, le 12 juillet 1790, réorganise complétement l’Eglise de France. Les biens de l’Eglise sont nationalisés, les évêques et curés sont désormais élus et deviennent des agents publics au service de l’Etat. S’opposent alors deux Eglises, un clergé dit constitutionnel, composé de clercs ayant prêtés serment, et un clergé dit réfractaire refusant de se soumettre à la Constitution civile. Les prêtres réfractaires ou « insermentés » sont très nombreux et la plupart prennent le parti de la contre-révolution, soutenus en cela par une frange de la population. Dans le département, les troubles sont fréquents, particulièrement dans la Châtaigneraie cantalienne où prêtres constitutionnels et prêtres réfractaires s’affrontent parfois violemment.
Suite à sa prestation de serment, Pierre Dommergues est nommé curé de la paroisse de Boisset par l’Assemblée électorale du district d’Aurillac le 2 mai 1791. Il entre assez rapidement en conflit avec l’abbé Rieu, prêtre réfractaire, l’empêchant de célébrer la messe en l’église paroissiale en lui refusant l’accès à la sacristie. Le 29 octobre 1791, les administrateurs du district d’Aurillac le rappellent à l’ordre, la loi du 13 mai 1791 stipulant que « le défaut de prestation de serment ne pourra être opposé à aucun prêtre se présentant dans une église paroissiale seulement pour y dire la messe[3] ». Les choses s’enveniment, jusqu’à cette nuit de Noël, où Pierre Dommergues est victime d’un coup de feu en pleine messe. Pour les représentants de l’assemblée départementale, l’origine de cet attentat ne fait aucun doute : « Un tel délit annonce qu’il existe dans cette paroisse un fanatisme outré qui pourrait se propager si l’on ne s’empressait d’en détruire la cause […] qu’on ne peut l’imputer qu’aux curés et vicaires non assermentés résidant dans leurs anciennes paroisses ou aux environs ». Considérant qu’il est « du devoir d’une assemblée administrative de rétablir l’ordre et la paix troublés », ils arrêtent : « qu’il sera nommé, parmi les membres, un commissaire, à l’effet de se transporter demain au lieu de Boisset, pour y prendre les informations les plus exactes, sur l’attentat commis la nuit dernière », « que ce commissaire sera assisté d’un détachement de cinquante hommes de la garde nationale d’Aurillac, de vingt-cinq hommes de la garde nationale d’Arpajon, et d’autres vingt-cinq hommes au plus, pris dans les gardes nationales des différentes communes qui sont sur la route » et « que les ci-devant curé et vicaire de la paroisse de Boisset, seront tenus de s’en éloigner provisoirement ». Une nouvelle députation de la garde nationale d’Aurillac informe alors l’assemblée que les gardes nationaux d’Arpajon se sont déjà rassemblés en nombre « dans le dessein de se rendre pendant la nuit en cette ville, et de se réunir à sa Garde Nationale, pour d’ici se transporter tous ensemble au lieu de Boisset ». L’Assemblée souhaitant éviter une escalade de violence, écrit immédiatement aux officiers municipaux d’Arpajon. Si elle remercie la garde nationale de son « zèle » et « accepte avec empressement son assistance », elle leur demande, avec la plus grande diplomatie, de n’envoyer que vingt-cinq hommes au plus « pour ne pas fatiguer inutilement nos braves frères d’armes et pour ne pas exposer le détachement à manquer de vivres[4] ».
Le représentant Lafont est nommé commissaire. Il part pour Boisset le 26 décembre, assisté d’une centaine d’hommes des gardes nationales d’Aurillac, Arpajon et de Saint-Mamet. A charge pour lui de tenter de « prendre des renseignements exacts sur l’attentat commis contre la personne du sieur Dommergues ». A son retour, le 28 décembre, il rapporte à l’assemblée départementale « qu’il n’était que trop vrai que le délit avait été commis ; que le sieur Curé était grièvement blessé au côté gauche ; que le Juge de Paix du canton de Maurs s’était rendu sur les lieux, pour dresser procès-verbal du délit et prendre les informations qui pourraient faire découvrir le coupable ; qu’on n’en avait encore acquis aucune connaissance légale ; mais que le bruit public seulement paraissait accuser le fanatisme d’avoir été la cause impulsive de cet attentat ; qu’au surplus la tranquillité était parfaitement rétablie dans la paroisse de Boisset[5] ». Il semble que l’auteur de cet attentat n’ait jamais été retrouvé, quoi qu'il en soit, les archives ne gardent aucune trace d’éventuelles suites judiciaires. Pierre Dommergues se remit de sa blessure, il dut quitter Boisset et fut nommé curé de Saint-Paul-des-Landes le 25 mars 1792. Son destin est toutefois peu commun. Au fil des mois, les tensions religieuses s’amplifient, les révolutionnaires adoptent plusieurs mesures de déchristianisation au profit du culte de la Raison et de l'Être suprême. Les prêtres doivent rendre leurs lettres de prêtrise et se « déprêtiser ». Pierre Dommergues s’y oppose publiquement. Dénoncé comme suspect, il choisit de fuir en Espagne. Il est arrêté peu avant la frontière par l’armée républicaine des Pyrénées-Orientales. Hasard incroyable, le représentant en mission à la tête de cette armée n’est autre que Jean-Baptiste Milhaud, député du Cantal à la Convention, et surtout compatriote et ami de Pierre Dommergues. Milhaud atteste de son civisme et rappelle les « persécutions de tous genres qu’il a éprouvées de la part des fanatiques, particulièrement en éprouvant un coup de feu de leur part pour avoir rempli les fonctions que la loi exigeait de lui ». Mais il ne se contente pas de le faire délivrer et le nomme par un arrêté en date du 30 thermidor an II, juge militaire auprès du Conseil de guerre. Quelques mois plus tard, Pierre Dommergues retourne dans le Cantal où il est nommé professeur de législation à l’Ecole centrale du département le 6 fructidor an IV[6].
Cotes ADC : L 20 et L 77
Texte rédigé par Nicolas Laparra
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[1] Cote ADC : L 20, page 351
[2] Pierre Dommergues. Curé constitutionnel par Marcel Dommergues, Revue de la Haute-Auvergne, 1945, pages 69-73
[3] Ibid
[4] Cote ADC : L 77
[5] Cote ADC : L 20, page 374
[6] Ibid
I
Créée en 2005, la journée nationale des assistantes maternelles est fixée chaque année au 19 novembre. Il s’agit d’honorer un métier essentiel à notre quotidien et parmi les plus anciens. Ce mois de novembre est aussi l’occasion de revenir sur une loi fondatrice de la protection infantile en France, la loi dite « loi Roussel » du 23 décembre 1874, dont on s’apprête à célébrer les 150 ans. Le mot « nourrice » trouve ses racines dans le latin nutrix et désigne la femme qui allaite et nourrit l’enfant. Jusqu’au XVIIIe siècle, à l’exception des orphelins ou des enfants abandonnés, ce sont principalement les femmes issues de l’aristocratie ou de la bourgeoisie qui font allaiter leurs enfants par des nourrices. Mais au XVIIIe siècle, et plus encore au XIXe, la pratique de la mise en nourrice s’intensifie avec la croissance urbaine et le développement du travail des femmes. Les familles les plus pauvres, bien souvent des filles-mères, ne peuvent subvenir aux besoins de leurs enfants ni même payer les soins d’une nourrice. Elles sont parfois contraintes d’abandonner leurs nourrissons dans des hospices pour « enfants trouvés », lesquels les placent ensuite chez des nourrices de campagne. Le document présenté ce mois-ci témoigne de cette évolution.
Il s’agit d’un « carnet de nourrice » délivré le 21 janvier 1900 à Marguerite Moranne, habitante du village de Mouret, commune de Chalinargues. Cette veuve, âgée de 50 ans, se voit confier une petite fille de 4 mois, Maria Marcelle Chavanon, née le 5 octobre 1899 à Clichy (Hauts-de-Seine). On sait d’après l’extrait d’acte de naissance reproduit dans le carnet qu’elle est née de père inconnu et d’une mère ménagère. Pour lutter contre une mortalité infantile encore très forte au XIXe siècle, particulièrement chez les enfants placés en nourrice, l’Etat va peu à peu réglementer cette pratique. C’est l’objet de la loi Roussel qui figure en préambule de ce carnet. L’article premier dispose que « tout enfant, âgé de moins de deux ans, qui est placé, moyennant salaire, en nourrice, en sevrage ou en garde, hors du domicile de ses parents, devient par ce fait l’objet d’une surveillance de l’autorité publique, ayant pour but de protéger sa vie et sa santé ». Ainsi, toute personne qui place un enfant dans les conditions énoncées par cet article doit désormais en faire la déclaration à la mairie de la commune de naissance de l’enfant, ou à la mairie de résidence du déclarant. Elle est tenue de remettre à la nourrice un extrait d’acte de naissance de l’enfant qui lui est confié. De même, les nourrices doivent se munir de certificats pour indiquer leur état civil et justifier de leur aptitude à nourrir ou à recevoir des enfants. Elles doivent aussi faire une déclaration à la mairie de leur commune dans les trois jours de l’arrivée d’un nouvel enfant. Ces déclarations sont consignées dans un registre tenu en mairie dit « registre des nourrices ». C’est ainsi qu’on retrouve la trace du placement de la petite Maria dans le registre de la commune de Chalinargues : elle est placée directement par sa mère le 15 décembre 1899, nourrie au biberon, puis reprise par sa mère en juin 1900.
Le règlement d’administration publique, faisant suite à cette loi, rappelle que les enfants âgés de moins de deux ans placés en nourrice font désormais l’objet d’une surveillance « exercée, sous l’autorité du préfet, assisté du comité départemental, par des commissions locales, par les maires, par des médecins inspecteurs, et par l’inspecteur des enfants assistés du département ». Le « carnet de nourrice » est un des instruments de cette surveillance. Il est délivré par le maire, et la nourrice doit se pourvoir d’un nouveau carnet chaque fois qu’elle accueille un nouveau nourrisson. L’article 30 du présent règlement précise que « le certificat délivré à la nourrice par le maire de sa commune et le certificat médical sont inscrits sur le carnet ». Mais dans le cas de Marguerite Moranne, le certificat du maire n’est que partiellement renseigné : y figurent son état civil, son intention de prendre un enfant en nourrice et la confirmation que son dernier enfant est déjà élevé, condition obligatoire pour accueillir un nourrisson. On sait aussi qu’elle a déjà élevé d’autres enfants moyennant salaire. Il n’est toutefois pas précisé, comme prévu par le règlement, depuis combien de temps ou encore si « elle est de bonne conduite, si elle a des habitudes régulières, si sa maison est bien tenue et quels sont ses moyens d’existence ». Plus grave encore, le certificat médical n’a pas non plus été délivré, ou du moins le formulaire pré-rempli à cet effet est resté vierge. De même, la loi ordonne que « le médecin inspecteur doit se transporter au domicile de la nourrice […] pour y voir l’enfant, dans la huitaine du jour où […] il est prévenu par le maire de l’arrivée de l’enfant dans la commune. Il doit ensuite visiter l’enfant au moins une fois par mois […] Après chaque visite, le médecin inspecteur vise le carnet ». Il semble toutefois que Maria Chavanon et sa nourrice n’aient jamais été examinées par un médecin, tout comme le certificat médical, le certificat de vaccine et le tableau des visites du carnet n’ont pas été renseignés.
L’objectif premier de ces mesures était pourtant bien de protéger la santé des enfants et de lutter contre la mortalité infantile, notamment par une surveillance médicale accrue. L’application de cette loi, ambitieuse, se serait-elle heurtée à un manque de moyens, à l’oubli ou bien à la négligence ? Toujours est-il que le cas de Marguerite Moranne ne semble pas faire exception. Sur un total de douze carnets de nourrice conservés dans les archives communales de Chalinargues et de Fontanges[1], seul un carnet comporte ces renseignements médicaux, pourtant prescrits par la loi.
[1] Cote ADC : E DEP 1466/6
I
Cotes ADC :E DEP 1454/9 ; texte rédigé par Nicolas Laparra
Inondations, glissements de terrain, tempêtes, grêles, sécheresses, canicules, le territoire cantalien est exposé à de nombreux risques naturels qui vont en s'amplifiant sous l'effet du changement climatique. Mais si ces phénomènes climatiques sont de plus en plus violents et de plus en plus fréquents, ils ne sont pas pour autant nouveaux. Les Archives du Cantal conservent de nombreux témoignages de catastrophes passées. Une partie d’entre eux vous seront présentés, du 14 octobre au 8 novembre, dans le cadre d’une nouvelle exposition : « Le Cantal face aux risques – Ça s’est déjà produit hier… et demain ? Saurez-vous réagir ? ». En lien avec cette dernière, le document du mois d’octobre témoigne de l’une de ces catastrophes : la grande sécheresse de 1893.
Cette année-là, la sécheresse frappe durement le Cantal dès le printemps. Le 27 avril 1893, Le Moniteur du Cantal, s’en fait l’écho : « La campagne souffre cruellement de la sécheresse prolongée et l’inquiétude augmente tous les jours. Voici, en effet soixante jours que la pluie n’est pas tombée. [...] la période exceptionnelle de sécheresse que nous traversons n’a pas d’exemple dans nos régions depuis qu’on recueille régulièrement les observations météorologiques »[1]. Les Archives du Cantal conservent un témoignage précieux de cet épisode : les relevés météorologiques effectués par Pierre Marty, célèbre naturaliste et botaniste cantalien. Ce véritable, touche-à-tout, à la fois poète, peintre, dessinateur, photographe, naturaliste ou archéologue, s’est aussi intéressé à la météorologie. C’est ainsi qu’il effectue régulièrement des relevés, chez lui au château de Caillac (commune de Vézac), pour le compte de la commission météorologique départementale. Par chance, les cartes pour l’enregistrement des observations des mois d’avril et mai 1893 ont été conservées[2]. Pour le mois d’avril, il ne relève que deux jours de précipitations avec un total pluviométrique plus que faible de 0,006 exprimé en mètre soit 6 mm. Heureusement, grâce à plusieurs épisodes orageux, le mois de mai est nettement plus arrosé avec un total 113 mm. En comparaison, les données météos pour Aurillac entre 1981 et 2010, donnent des précipitations moyennes de 115,5 mm pour le mois d’avril et de 118,4 mm pour le mois de mai, qui sont communément les deux mois les plus pluvieux de l’année[3]. Les records de sécheresse sur cette période sont de 14,9 mm pour les mois d’avril 1982 et de 32,8 mm pour le mois de mai 1991. Le mois de mai 1893 est certes proche des moyennes de saison mais il ne suffit pas à rattraper un mois d’avril exceptionnellement sec et chaud. |
Observations de avril 1893 (1 J104/1) |
Pierre Marty ne se contente pas de remplir les cartes d’observations à destination de la commission météorologique, il consigne aussi ses relevés hebdomadaires dans des carnets personnels, en les enrichissant de nombreuses annotations[4]. Plus riches et plus éloquentes que de simples relevés, elles permettent d’avoir le ressenti d’un témoin direct des évènements. Pour le mois d’avril, il note « Ce mois est remarquable par sa grande chaleur et surtout par sa grande sécheresse ». Car non seulement le temps est sec mais il est aussi très chaud avec un maximum de 32° relevé le 22 avril. Les relevés s’effectuent avec deux thermomètres à maxima et à minima disposés au nord, à une certaine distance des murs, et protégés de la pluie et du soleil par un abri. Il s’agit donc bien de températures sous abris assez comparables aux relevés météos actuels. Sur la période 1981-2010, le record pour un mois d’avril à Aurillac est de 26,5°. Ce mois d’avril 1893 est historique et les conséquences pour l’agriculture sont catastrophiques. Le 25 avril, Pierre Marty écrit « La sécheresse devient désastreuse. Le blé ne donne que 2 ou 3 épis par grains. […] Il n’y a pas d’herbe dans les prés ». Et si comme nous l’avons vu, le mois de mai est plus humide, l’accalmie est de courte durée. Le mois de juin « est remarquable par la persistance de la sécheresse, qui brûle sur pied presque tous les foins ». Il relève 11 jours avec une température maximale égale ou supérieure à 30°, dont 36° le 11 juin. A la fin du mois d’août : « La sécheresse est épouvantable. Elle tarit les mares et cause des dysenteries. Les sources même qui jamais ne baissaient sont taries […]. La rivière est presque à sec. Le regain est résorbé. La fleur de blé noir est brûlée ». |
Observations de mai 1893 (1 J104/1) |
Dans sa séance du 25 août 1893[5], le conseil général du Cantal « fait observer que le Cantal est un des départements particulièrement atteint par la sécheresse surtout à cause de la nature de sa production, le bétail ; […] les pertes causées par la sécheresse ont été évaluées à 10 millions, elles ont doublé depuis cette époque par suite de la persistance de la sécheresse ; à ce total de 20 millions, il y a lieu d’ajouter 1 200 000 francs de perte sur la culture du sarrazin ». La somme est considérable, selon le convertisseur franc-euro de l’INSEE, elle correspondrait à près de 90 millions d’euros actuels. Elle est surtout à mettre en regard de l’aide débloquée par le gouvernement d’un montant total de 5 millions de francs pour l’ensemble du territoire soit 55 000 francs pour le Cantal… « Jugez par-là de l’insignifiance du secours à nous accordé »[6].
Extrait du carnet à la date du 25 avril (1 J105/3)
Ces témoignages d’évènements passés conservés par les services d’Archives sont utiles aux scientifiques. Leur étude peut servir à établir des évènements de référence et ainsi aider à apprécier la gravité des sécheresses actuelles. L’exemple de la grande sécheresse de 1893 montre que des épisodes aussi extrêmes et aussi sévères que les événements récents se sont déjà produits par le passé[7].
Cotes ADC : 1 J 104/1 et 1 J 105/3 ; texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] Le Moniteur du Cantal, n° 49, 27 avril 1893 (cote ADC : 2 Jour 35 ; https://archives.cantal.fr/ark:16075/1ed876d826c16e3cb5a70050568bb1e3.fiche=arko_fiche_616d42a07bbc9.moteur=arko_default_5fbfc22f55ae9)
[2] Archives de Pierre Marty (cote ADC : 1 J 104/1)
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Donn%C3%A9es_climatiques_d%27Aurillac
[4] Archives de Pierre Marty (cote ADC : 1 J 105/3)
[5] Cote ADC : 73 M 1
[6] Le Moniteur du Cantal, n° 88, 5 août 1893 (cote ADC : 2 Jour 35 ; https://archives.cantal.fr/ark:16075/1ed876d866a06da082ed0050568bb1e3.fiche=arko_fiche_616d42a07bbc9.moteur=arko_default_5fbfc22f55ae9)
[7] Sécheresses historiques : que nous enseignent les archives ? (https://theconversation.com/secheresses-historiques-que-nous-enseignent-les-archives-190503)
En lien avec les journées européennes du patrimoine 2024 qui ont pour thème « le patrimoine des itinéraires, des réseaux et des connexions », les archives départementales vous présentent, en ce mois de septembre, le premier projet de réseau téléphonique cantalien. Nous sommes en 1899, Léon Mougeot, sous-secrétaire d’Etat des Postes et des Télégraphes (et pas encore du téléphone…), propose de « doter le Cantal d’une organisation téléphonique »[1]. Il rappelle « l’importance très grande qu’a prise la téléphonie dans divers pays, notamment en Allemagne, en Belgique et en Suisse » tandis que « la France n’a pas jusqu’ici profité, aussi largement que ses voisins, des facilités nouvelles qu’offre ce merveilleux moyen de communication pour les relations d’affaire et de famille ». Considérant que « notre pays se doit à lui-même de ne pas rester plus longtemps en arrière », il demande le soutien du préfet et en appelle à son influence « pour faire aboutir l’œuvre nationale que j’ai entreprise ».
Si l’Histoire a retenu la date de 1876, et le dépôt du premier brevet d'invention par l’Américain Alexander Graham Bell, comme le début officiel de l’histoire du téléphone, il est aujourd’hui communément admis que son véritable inventeur est le Français Charles Bourseul. Agent du télégraphe en poste à Saint-Céré, il présente dès 1854, un mémoire dans lequel il décrit le principe d’un appareil pour converser à distance. Peut-être un peu trop visionnaire et trop en avance sur son temps, son rapport n’est retenu ni par son administration ni par l’Académie des sciences. Il décide tout de même de faire publier dans la revue L’Illustration, le 26 août 1854, un article intitulé « Transmission électrique de la parole », première ébauche du concept de téléphone[2]. C’est toutefois bien l’appareil mis au point par Graham Bell qui permet le développement du téléphone à travers le monde. L’exposition universelle de 1878, à Paris, consacre la renommée de son invention. C’est aussi l’occasion pour la France de se doter de son premier réseau téléphonique, le réseau urbain de Paris, exploité commercialement dès 1879. Le réseau se développe ensuite petit à petit : les premiers essais sont réalisés en province en 1880 et les premiers abonnés sont reliés au réseau dès 1881. En 1889, les opérateurs de téléphone, concessionnaires privés, sont nationalisés et rattachés à l’administration des Postes et Télégraphes. Dix ans plus tard, de l’aveu même de l’administration, la France est en retard et le téléphone n’est pas encore arrivé dans le Cantal.
Un premier projet de réseau est donc proposé par le sous-secrétaire d’Etat en 1899, il prévoit de relier ensemble les quatre chefs-lieux d’arrondissement Aurillac, Mauriac, Murat et Saint-Flour, puis de relier ces derniers à leurs chefs-lieux de canton ainsi qu’à quatre autres communes : Le Vaulmier, Ussel, Valuéjols et Junhac. Soit un total de 25 communes pour un coût global de 289 500 francs. Après une première consultation auprès des communes susceptibles d’être intéressées, le projet devient bien plus ambitieux et une nouvelle carte est établie. Si la base du réseau reste la même, il s’agit désormais de relier entre elles plus de soixante-dix communes. Mais comme souvent, l’Etat n’a pas les moyens de ses ambitions. La carte est accompagnée d’un devis qui fait état d’une dépense totale de 541 375 francs, soit près de 2 500 000 euros actuels. La dépense initiale a presque doublé. Pourtant dès le premier projet, Léon Mougeot prend bien soin de rappeler au préfet que son « administration ne disposant […] d’aucun crédit budgétaire pour la construction des lignes téléphoniques, le montant des dépenses devrait être fourni à l’Etat, à titre d’avance remboursable, sans intérêts ». C’est aux administrations locales, conseil général et communes, d’avancer l’intégralité des sommes nécessaires à l’Etat avec l’espoir d’en être ensuite remboursé par les éventuelles recettes du réseau ainsi créé. De plus, l’Etat ne consent à rembourser que le capital des sommes empruntées pour le financement des travaux à l’exclusion des intérêts de la dette, qui eux restent à la charge des administrations locales. Le conseil général du Cantal décide alors d’avancer l’intégralité du capital à emprunter mais pas les intérêts qui seront à financer par les communes. Aussi, sur 71 communes intéressées dans un premier temps, il n’y en a plus que 12 qui ont voté les ressources demandées, 23 ont ajourné leur décision, 29 ont préféré renoncer et 7 n’ont pas répondu.
Début 1902, le projet n’est toujours pas adopté et « le Cantal est un des rares départements qui n’ont pas donné suite, au moins partiellement, aux propositions de l’administration et qui n’ont aucune relation avec le réseau général ». Il faut attendre le 22 avril 1903 pour que le projet soit définitivement adopté par une délibération du conseil général, ce dernier emprunte et avance la somme totale de 584 990 francs nécessaire à l’établissement du réseau. Il prend aussi à sa charge la moitié des intérêts annuels, l’autre moitié étant à supporter par les communes. Sur les 267 communes du département, 66 acceptent d’être reliées au réseau et s’engagent à verser les sommes demandées pour une durée de trente ans. Les débuts du téléphone dans le Cantal sont donc assez laborieux. Cependant, après la mise en place de la distribution postale à domicile et le développement du réseau télégraphique au cours du XIXe siècle, c’est un nouveau moyen de communication qui s’offre aux Cantaliens. S’il existe bien une volonté politique – ici initiée par l’Etat – de favoriser le progrès de ces moyens de communication, comme pour la poste et le télégraphe avant lui, le développement du réseau téléphonique ne peut se faire sans l’aide des pouvoirs locaux et leurs apports financiers parfois conséquents. Les attentes sont pourtant nombreuses et ces moyens de communications sont de véritables enjeux en milieu rural. Ils sont considérés, à juste titre, comme des outils du désenclavement. A cet égard, comme la route ou le rail, ils ont contribué à la modernisation de la France en tant que moteur de civilisation et d’unité nationale[3].
Cote ADC : 6 P 655
Texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] A.D. Cantal : 6 P 655
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Bourseul
[3] Des P&T à la campagne : l'exemplarité de l'Auvergne avant 1914 / Nicolas Laparra, Cahiers pour l'histoire de la Poste, 2009 (cote ADC : 8 BIB 2803)
« Le supplice que j’ai inventé est si doux qu’il n’y a vraiment que l’idée de la mort qui puisse le rendre désagréable. Aussi, si l’on ne s’attendait pas à mourir, on croirait n’avoir senti sur le cou qu’une légère et agréable fraîcheur »[1]. C’est pour le moins avec un léger euphémisme que Joseph Ignace Guillotin décrivait la machine à laquelle la postérité à rattacher son nom : la guillotine ! Si ces propos peuvent nous paraitre déplacés ou même choquants. La parole du docteur Guillotin est pourtant sincère et ses intentions louables. Il propose à l’Assemblée constituante, dès le 1er décembre 1789, que « les délits de même genre seront punis par les mêmes genres de peines, quels que soient le rang et l'état du coupable », et demande que « la décapitation fût le seul supplice adopté et qu'on cherchât une machine qui pût être substituée à la main du bourreau ». En effet, sous l’Ancien Régime, les condamnés à mort étaient exécutés différemment en fonction de leur rang et état : les nobles périssaient par l’épée du bourreau tandis que les roturiers pouvaient subir le supplice de la roue ou la pendaison. Par volonté d'exemplarité, la justice met en scène les châtiments qu'elle inflige. En 1730, Jean Mazin, de Chastel et Benoît Bardel, de Rageade, accusés d’assassinat et de vol, furent condamnés à avoir « les jambes, bras, cuisses et reins rompus vifs sur un eschaffau qui, pour cet effet, sera dressé en la grande place ce cette ville de Saint-Flour et chacun d’eux mis ensuitte sur une roue, la face tournée vers le ciel pour y finir leurs jours »[2]. C’est donc bien dans un souci d’égalité, mais aussi de justice et d’humanité, qu’en mars 1792, l’Assemblée constituante décrète que désormais « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». C’est alors que le docteur Guillotin propose sa machine, assisté du docteur Louis, homme de science et expert médical. S’il n’en est pas à proprement parler l’inventeur, c’est bien lui qui fera adopter son usage par les législateurs.
La justice cantalienne n’attend pas longtemps pour mettre en œuvre ce nouveau mode d’exécution. Dès le 28 juillet 1792, Louis Prax, condamné à mort pour strangulation, est le premier cantalien à subir les affres de la guillotine. Cette première a lieu à Aurillac. Mais dès l’an IV, le siège du tribunal criminel du Cantal est fixé à Saint-Flour. Et sauf en de rares exceptions, c’est dans cette ville que se dérouleront désormais les futures exécutions capitales. Pour se conformer au décret impérial du 18 juin 1811 réglementant l'administration de la justice en matière criminelle, un nouveau règlement sur les frais d’exécution des arrêts criminels est établi par le ministère de la Justice. Une copie, extraite des archives de la sous-préfecture de Saint-Flour, en est ici présentée. L’article 2 fait état des « instruments servant aux exécutions » : un « grand échafaud pour les exécutions à mort », « un petit échafaud pour les expositions », « une machine à décapiter, avec ses accessoires », « des poteaux pour les expositions »… Car si la Révolution fait de la guillotine l'instrument unique du supplice, la justice conserve toute de même pour un temps les aspects théâtraux du châtiment. L'exposition des condamnés se maintient jusqu'en 1832, et les exécutions demeurent publiques jusqu’en 1939. A Saint-Flour, comme sous l’Ancien Régime et jusqu’en 1821, elles ont lieu sur la Place d’Armes dans la partie comprise entre le bailliage et la cathédrale. On y installe le grand échafaud sur lequel est hissée la guillotine à la vue du plus grand nombre. Ce dernier « est établi de manière à être fixé à chaque angle dans des pierres de taille, incrustées au pavé de la grande place de Saint-Flour ». A ses côtés se trouve le petit échafaud sur lequel on expose les condamnés. Lorsque le jugement le prescrit, c’est sur cet échafaud que le bourreau appose une marque aux fers rouges ou flétrissure sur l’épaule droite du condamné.
L’article 7 du nouveau règlement prescrit que « les préfets feront dresser un devis estimatif des instruments ». A cet effet, le sous-préfet de Saint-Flour commissionne, Antoine Delmas, maitre charpentier, et Jean Valadier, maitre serrurier. Charge à eux d’établir un devis estimatif des réparations nécessaires et des transformations permettant à ces instruments de « pouvoir être transportés et placés partout où il y aura lieu ». A la lecture du devis, le tout, bien que régulièrement utilisé[3], semble en très mauvais état : « l’escalier extérieur par lequel on monte sur l’échafaud doit être refait à neuf », « cet échafaud dont la superficie est de 48 mètres quarrés a besoin d’être remanié en entier », « la planche à bascule où le condamné est attaché doit être refaite à neuf avec coulisse » et « que n’y ayant point de billot, il doit être établi un en bois de chêne ». Quant à l’échafaud pour les expositions « il n’en existe pas ». Les artisans préconisent d’en construire deux, chacun pouvant « y exposer deux personnes, en y adaptant deux poteaux avec carcan à boulon, écrou, chaine et cadenas ». Ils notent cependant que « les fers pour les flétrissures existent pour avoir été faits nouvellement ». Toutefois, « il manque le réchaud, les pèles, pincettes et soufflets exigés par le règlement ». En 1818, un nouvel inventaire est prescrit par le préfet. L’état du grand échafaud laisse toujours à désirer : l’escalier est à rétablir et le plancher en mauvais état. La machine à décapiter est aussi à réparer. En revanche, le petit échafaud a été construit et il est jugé en état. Le billot en bois de chêne n’est plus manquant mais en mauvais état. Quant aux réchauds, pelles et soufflets, ils sont toujours manquants. Ceci expliquant cela, une note fait observer que « les objets désignés dans le présent inventaire sont tout bonnement placés sous un angar dressé au milieu des décombres d’une ancienne maison détruite appartenant à la ville, laquelle n’a qu’une mauvaise toiture et ne peut préserver des injures et des dégradations du mauvais temps ».
Cote ADC : 3 SC 8889
Document rédigé par Nicolas Laparra
[1] Base de données des députés français depuis 1789, Assemblée nationale.
[2] Le Bourreau et la guillotine à Saint-Flour / L. Bélard ; réédité par Géraud Jarlier, 1982.
[3] Jean-Pierre Serre dénombre approximativement 73 exécutions entre 1799 et 1815 : « Les exécutions capitales à Saint-Flour du Consulat à la troisième République » dans Bulletin de l'association Cantal-Patrimoine, 2007, p. 22-33.