Le carnet de nourrice,
témoin des progrès de la protection infantile (1900)
Créée en 2005, la journée nationale des assistantes maternelles est fixée chaque année au 19 novembre. Il s’agit d’honorer un métier essentiel à notre quotidien et parmi les plus anciens. Ce mois de novembre est aussi l’occasion de revenir sur une loi fondatrice de la protection infantile en France, la loi dite « loi Roussel » du 23 décembre 1874, dont on s’apprête à célébrer les 150 ans. Le mot « nourrice » trouve ses racines dans le latin nutrix et désigne la femme qui allaite et nourrit l’enfant. Jusqu’au XVIIIe siècle, à l’exception des orphelins ou des enfants abandonnés, ce sont principalement les femmes issues de l’aristocratie ou de la bourgeoisie qui font allaiter leurs enfants par des nourrices. Mais au XVIIIe siècle, et plus encore au XIXe, la pratique de la mise en nourrice s’intensifie avec la croissance urbaine et le développement du travail des femmes. Les familles les plus pauvres, bien souvent des filles-mères, ne peuvent subvenir aux besoins de leurs enfants ni même payer les soins d’une nourrice. Elles sont parfois contraintes d’abandonner leurs nourrissons dans des hospices pour « enfants trouvés », lesquels les placent ensuite chez des nourrices de campagne. Le document présenté ce mois-ci témoigne de cette évolution.
Il s’agit d’un « carnet de nourrice » délivré le 21 janvier 1900 à Marguerite Moranne, habitante du village de Mouret, commune de Chalinargues. Cette veuve, âgée de 50 ans, se voit confier une petite fille de 4 mois, Maria Marcelle Chavanon, née le 5 octobre 1899 à Clichy (Hauts-de-Seine). On sait d’après l’extrait d’acte de naissance reproduit dans le carnet qu’elle est née de père inconnu et d’une mère ménagère. Pour lutter contre une mortalité infantile encore très forte au XIXe siècle, particulièrement chez les enfants placés en nourrice, l’Etat va peu à peu réglementer cette pratique. C’est l’objet de la loi Roussel qui figure en préambule de ce carnet. L’article premier dispose que « tout enfant, âgé de moins de deux ans, qui est placé, moyennant salaire, en nourrice, en sevrage ou en garde, hors du domicile de ses parents, devient par ce fait l’objet d’une surveillance de l’autorité publique, ayant pour but de protéger sa vie et sa santé ». Ainsi, toute personne qui place un enfant dans les conditions énoncées par cet article doit désormais en faire la déclaration à la mairie de la commune de naissance de l’enfant, ou à la mairie de résidence du déclarant. Elle est tenue de remettre à la nourrice un extrait d’acte de naissance de l’enfant qui lui est confié. De même, les nourrices doivent se munir de certificats pour indiquer leur état civil et justifier de leur aptitude à nourrir ou à recevoir des enfants. Elles doivent aussi faire une déclaration à la mairie de leur commune dans les trois jours de l’arrivée d’un nouvel enfant. Ces déclarations sont consignées dans un registre tenu en mairie dit « registre des nourrices ». C’est ainsi qu’on retrouve la trace du placement de la petite Maria dans le registre de la commune de Chalinargues : elle est placée directement par sa mère le 15 décembre 1899, nourrie au biberon, puis reprise par sa mère en juin 1900.
Le règlement d’administration publique, faisant suite à cette loi, rappelle que les enfants âgés de moins de deux ans placés en nourrice font désormais l’objet d’une surveillance « exercée, sous l’autorité du préfet, assisté du comité départemental, par des commissions locales, par les maires, par des médecins inspecteurs, et par l’inspecteur des enfants assistés du département ». Le « carnet de nourrice » est un des instruments de cette surveillance. Il est délivré par le maire, et la nourrice doit se pourvoir d’un nouveau carnet chaque fois qu’elle accueille un nouveau nourrisson. L’article 30 du présent règlement précise que « le certificat délivré à la nourrice par le maire de sa commune et le certificat médical sont inscrits sur le carnet ». Mais dans le cas de Marguerite Moranne, le certificat du maire n’est que partiellement renseigné : y figurent son état civil, son intention de prendre un enfant en nourrice et la confirmation que son dernier enfant est déjà élevé, condition obligatoire pour accueillir un nourrisson. On sait aussi qu’elle a déjà élevé d’autres enfants moyennant salaire. Il n’est toutefois pas précisé, comme prévu par le règlement, depuis combien de temps ou encore si « elle est de bonne conduite, si elle a des habitudes régulières, si sa maison est bien tenue et quels sont ses moyens d’existence ». Plus grave encore, le certificat médical n’a pas non plus été délivré, ou du moins le formulaire pré-rempli à cet effet est resté vierge. De même, la loi ordonne que « le médecin inspecteur doit se transporter au domicile de la nourrice […] pour y voir l’enfant, dans la huitaine du jour où […] il est prévenu par le maire de l’arrivée de l’enfant dans la commune. Il doit ensuite visiter l’enfant au moins une fois par mois […] Après chaque visite, le médecin inspecteur vise le carnet ». Il semble toutefois que Maria Chavanon et sa nourrice n’aient jamais été examinées par un médecin, tout comme le certificat médical, le certificat de vaccine et le tableau des visites du carnet n’ont pas été renseignés.
L’objectif premier de ces mesures était pourtant bien de protéger la santé des enfants et de lutter contre la mortalité infantile, notamment par une surveillance médicale accrue. L’application de cette loi, ambitieuse, se serait-elle heurtée à un manque de moyens, à l’oubli ou bien à la négligence ? Toujours est-il que le cas de Marguerite Moranne ne semble pas faire exception. Sur un total de douze carnets de nourrice conservés dans les archives communales de Chalinargues et de Fontanges[1], seul un carnet comporte ces renseignements médicaux, pourtant prescrits par la loi.
[1] Cote ADC : E DEP 1466/6
I
Cotes ADC :E DEP 1454/9 ; texte rédigé par Nicolas Laparra
La grande sécheresse de 1893 : Pierre Marty, un précieux témoin !
Inondations, glissements de terrain, tempêtes, grêles, sécheresses, canicules, le territoire cantalien est exposé à de nombreux risques naturels qui vont en s'amplifiant sous l'effet du changement climatique. Mais si ces phénomènes climatiques sont de plus en plus violents et de plus en plus fréquents, ils ne sont pas pour autant nouveaux. Les Archives du Cantal conservent de nombreux témoignages de catastrophes passées. Une partie d’entre eux vous seront présentés, du 14 octobre au 8 novembre, dans le cadre d’une nouvelle exposition : « Le Cantal face aux risques – Ça s’est déjà produit hier… et demain ? Saurez-vous réagir ? ». En lien avec cette dernière, le document du mois d’octobre témoigne de l’une de ces catastrophes : la grande sécheresse de 1893.
Cette année-là, la sécheresse frappe durement le Cantal dès le printemps. Le 27 avril 1893, Le Moniteur du Cantal, s’en fait l’écho : « La campagne souffre cruellement de la sécheresse prolongée et l’inquiétude augmente tous les jours. Voici, en effet soixante jours que la pluie n’est pas tombée. [...] la période exceptionnelle de sécheresse que nous traversons n’a pas d’exemple dans nos régions depuis qu’on recueille régulièrement les observations météorologiques »[1]. Les Archives du Cantal conservent un témoignage précieux de cet épisode : les relevés météorologiques effectués par Pierre Marty, célèbre naturaliste et botaniste cantalien. Ce véritable, touche-à-tout, à la fois poète, peintre, dessinateur, photographe, naturaliste ou archéologue, s’est aussi intéressé à la météorologie. C’est ainsi qu’il effectue régulièrement des relevés, chez lui au château de Caillac (commune de Vézac), pour le compte de la commission météorologique départementale. Par chance, les cartes pour l’enregistrement des observations des mois d’avril et mai 1893 ont été conservées[2]. Pour le mois d’avril, il ne relève que deux jours de précipitations avec un total pluviométrique plus que faible de 0,006 exprimé en mètre soit 6 mm. Heureusement, grâce à plusieurs épisodes orageux, le mois de mai est nettement plus arrosé avec un total 113 mm. En comparaison, les données météos pour Aurillac entre 1981 et 2010, donnent des précipitations moyennes de 115,5 mm pour le mois d’avril et de 118,4 mm pour le mois de mai, qui sont communément les deux mois les plus pluvieux de l’année[3]. Les records de sécheresse sur cette période sont de 14,9 mm pour les mois d’avril 1982 et de 32,8 mm pour le mois de mai 1991. Le mois de mai 1893 est certes proche des moyennes de saison mais il ne suffit pas à rattraper un mois d’avril exceptionnellement sec et chaud. |
Observations de avril 1893 (1 J104/1) |
Pierre Marty ne se contente pas de remplir les cartes d’observations à destination de la commission météorologique, il consigne aussi ses relevés hebdomadaires dans des carnets personnels, en les enrichissant de nombreuses annotations[4]. Plus riches et plus éloquentes que de simples relevés, elles permettent d’avoir le ressenti d’un témoin direct des évènements. Pour le mois d’avril, il note « Ce mois est remarquable par sa grande chaleur et surtout par sa grande sécheresse ». Car non seulement le temps est sec mais il est aussi très chaud avec un maximum de 32° relevé le 22 avril. Les relevés s’effectuent avec deux thermomètres à maxima et à minima disposés au nord, à une certaine distance des murs, et protégés de la pluie et du soleil par un abri. Il s’agit donc bien de températures sous abris assez comparables aux relevés météos actuels. Sur la période 1981-2010, le record pour un mois d’avril à Aurillac est de 26,5°. Ce mois d’avril 1893 est historique et les conséquences pour l’agriculture sont catastrophiques. Le 25 avril, Pierre Marty écrit « La sécheresse devient désastreuse. Le blé ne donne que 2 ou 3 épis par grains. […] Il n’y a pas d’herbe dans les prés ». Et si comme nous l’avons vu, le mois de mai est plus humide, l’accalmie est de courte durée. Le mois de juin « est remarquable par la persistance de la sécheresse, qui brûle sur pied presque tous les foins ». Il relève 11 jours avec une température maximale égale ou supérieure à 30°, dont 36° le 11 juin. A la fin du mois d’août : « La sécheresse est épouvantable. Elle tarit les mares et cause des dysenteries. Les sources même qui jamais ne baissaient sont taries […]. La rivière est presque à sec. Le regain est résorbé. La fleur de blé noir est brûlée ». |
Observations de mai 1893 (1 J104/1) |
Dans sa séance du 25 août 1893[5], le conseil général du Cantal « fait observer que le Cantal est un des départements particulièrement atteint par la sécheresse surtout à cause de la nature de sa production, le bétail ; […] les pertes causées par la sécheresse ont été évaluées à 10 millions, elles ont doublé depuis cette époque par suite de la persistance de la sécheresse ; à ce total de 20 millions, il y a lieu d’ajouter 1 200 000 francs de perte sur la culture du sarrazin ». La somme est considérable, selon le convertisseur franc-euro de l’INSEE, elle correspondrait à près de 90 millions d’euros actuels. Elle est surtout à mettre en regard de l’aide débloquée par le gouvernement d’un montant total de 5 millions de francs pour l’ensemble du territoire soit 55 000 francs pour le Cantal… « Jugez par-là de l’insignifiance du secours à nous accordé »[6].
Extrait du carnet à la date du 25 avril (1 J105/3)
Ces témoignages d’évènements passés conservés par les services d’Archives sont utiles aux scientifiques. Leur étude peut servir à établir des évènements de référence et ainsi aider à apprécier la gravité des sécheresses actuelles. L’exemple de la grande sécheresse de 1893 montre que des épisodes aussi extrêmes et aussi sévères que les événements récents se sont déjà produits par le passé[7].
Cotes ADC : 1 J 104/1 et 1 J 105/3 ; texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] Le Moniteur du Cantal, n° 49, 27 avril 1893 (cote ADC : 2 Jour 35 ; https://archives.cantal.fr/ark:16075/1ed876d826c16e3cb5a70050568bb1e3.fiche=arko_fiche_616d42a07bbc9.moteur=arko_default_5fbfc22f55ae9)
[2] Archives de Pierre Marty (cote ADC : 1 J 104/1)
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Donn%C3%A9es_climatiques_d%27Aurillac
[4] Archives de Pierre Marty (cote ADC : 1 J 105/3)
[5] Cote ADC : 73 M 1
[6] Le Moniteur du Cantal, n° 88, 5 août 1893 (cote ADC : 2 Jour 35 ; https://archives.cantal.fr/ark:16075/1ed876d866a06da082ed0050568bb1e3.fiche=arko_fiche_616d42a07bbc9.moteur=arko_default_5fbfc22f55ae9)
[7] Sécheresses historiques : que nous enseignent les archives ? (https://theconversation.com/secheresses-historiques-que-nous-enseignent-les-archives-190503)
Le téléphone dans le Cantal:
des débuts difficiles (1899)
En lien avec les journées européennes du patrimoine 2024 qui ont pour thème « le patrimoine des itinéraires, des réseaux et des connexions », les archives départementales vous présentent, en ce mois de septembre, le premier projet de réseau téléphonique cantalien. Nous sommes en 1899, Léon Mougeot, sous-secrétaire d’Etat des Postes et des Télégraphes (et pas encore du téléphone…), propose de « doter le Cantal d’une organisation téléphonique »[1]. Il rappelle « l’importance très grande qu’a prise la téléphonie dans divers pays, notamment en Allemagne, en Belgique et en Suisse » tandis que « la France n’a pas jusqu’ici profité, aussi largement que ses voisins, des facilités nouvelles qu’offre ce merveilleux moyen de communication pour les relations d’affaire et de famille ». Considérant que « notre pays se doit à lui-même de ne pas rester plus longtemps en arrière », il demande le soutien du préfet et en appelle à son influence « pour faire aboutir l’œuvre nationale que j’ai entreprise ».
Si l’Histoire a retenu la date de 1876, et le dépôt du premier brevet d'invention par l’Américain Alexander Graham Bell, comme le début officiel de l’histoire du téléphone, il est aujourd’hui communément admis que son véritable inventeur est le Français Charles Bourseul. Agent du télégraphe en poste à Saint-Céré, il présente dès 1854, un mémoire dans lequel il décrit le principe d’un appareil pour converser à distance. Peut-être un peu trop visionnaire et trop en avance sur son temps, son rapport n’est retenu ni par son administration ni par l’Académie des sciences. Il décide tout de même de faire publier dans la revue L’Illustration, le 26 août 1854, un article intitulé « Transmission électrique de la parole », première ébauche du concept de téléphone[2]. C’est toutefois bien l’appareil mis au point par Graham Bell qui permet le développement du téléphone à travers le monde. L’exposition universelle de 1878, à Paris, consacre la renommée de son invention. C’est aussi l’occasion pour la France de se doter de son premier réseau téléphonique, le réseau urbain de Paris, exploité commercialement dès 1879. Le réseau se développe ensuite petit à petit : les premiers essais sont réalisés en province en 1880 et les premiers abonnés sont reliés au réseau dès 1881. En 1889, les opérateurs de téléphone, concessionnaires privés, sont nationalisés et rattachés à l’administration des Postes et Télégraphes. Dix ans plus tard, de l’aveu même de l’administration, la France est en retard et le téléphone n’est pas encore arrivé dans le Cantal.
Un premier projet de réseau est donc proposé par le sous-secrétaire d’Etat en 1899, il prévoit de relier ensemble les quatre chefs-lieux d’arrondissement Aurillac, Mauriac, Murat et Saint-Flour, puis de relier ces derniers à leurs chefs-lieux de canton ainsi qu’à quatre autres communes : Le Vaulmier, Ussel, Valuéjols et Junhac. Soit un total de 25 communes pour un coût global de 289 500 francs. Après une première consultation auprès des communes susceptibles d’être intéressées, le projet devient bien plus ambitieux et une nouvelle carte est établie. Si la base du réseau reste la même, il s’agit désormais de relier entre elles plus de soixante-dix communes. Mais comme souvent, l’Etat n’a pas les moyens de ses ambitions. La carte est accompagnée d’un devis qui fait état d’une dépense totale de 541 375 francs, soit près de 2 500 000 euros actuels. La dépense initiale a presque doublé. Pourtant dès le premier projet, Léon Mougeot prend bien soin de rappeler au préfet que son « administration ne disposant […] d’aucun crédit budgétaire pour la construction des lignes téléphoniques, le montant des dépenses devrait être fourni à l’Etat, à titre d’avance remboursable, sans intérêts ». C’est aux administrations locales, conseil général et communes, d’avancer l’intégralité des sommes nécessaires à l’Etat avec l’espoir d’en être ensuite remboursé par les éventuelles recettes du réseau ainsi créé. De plus, l’Etat ne consent à rembourser que le capital des sommes empruntées pour le financement des travaux à l’exclusion des intérêts de la dette, qui eux restent à la charge des administrations locales. Le conseil général du Cantal décide alors d’avancer l’intégralité du capital à emprunter mais pas les intérêts qui seront à financer par les communes. Aussi, sur 71 communes intéressées dans un premier temps, il n’y en a plus que 12 qui ont voté les ressources demandées, 23 ont ajourné leur décision, 29 ont préféré renoncer et 7 n’ont pas répondu.
Début 1902, le projet n’est toujours pas adopté et « le Cantal est un des rares départements qui n’ont pas donné suite, au moins partiellement, aux propositions de l’administration et qui n’ont aucune relation avec le réseau général ». Il faut attendre le 22 avril 1903 pour que le projet soit définitivement adopté par une délibération du conseil général, ce dernier emprunte et avance la somme totale de 584 990 francs nécessaire à l’établissement du réseau. Il prend aussi à sa charge la moitié des intérêts annuels, l’autre moitié étant à supporter par les communes. Sur les 267 communes du département, 66 acceptent d’être reliées au réseau et s’engagent à verser les sommes demandées pour une durée de trente ans. Les débuts du téléphone dans le Cantal sont donc assez laborieux. Cependant, après la mise en place de la distribution postale à domicile et le développement du réseau télégraphique au cours du XIXe siècle, c’est un nouveau moyen de communication qui s’offre aux Cantaliens. S’il existe bien une volonté politique – ici initiée par l’Etat – de favoriser le progrès de ces moyens de communication, comme pour la poste et le télégraphe avant lui, le développement du réseau téléphonique ne peut se faire sans l’aide des pouvoirs locaux et leurs apports financiers parfois conséquents. Les attentes sont pourtant nombreuses et ces moyens de communications sont de véritables enjeux en milieu rural. Ils sont considérés, à juste titre, comme des outils du désenclavement. A cet égard, comme la route ou le rail, ils ont contribué à la modernisation de la France en tant que moteur de civilisation et d’unité nationale[3].
Cote ADC : 6 P 655
Texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] A.D. Cantal : 6 P 655
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Bourseul
[3] Des P&T à la campagne : l'exemplarité de l'Auvergne avant 1914 / Nicolas Laparra, Cahiers pour l'histoire de la Poste, 2009 (cote ADC : 8 BIB 2803)
"Instruments nécessaires à l'exécution des arrêts criminels"
(1811-1818)
« Le supplice que j’ai inventé est si doux qu’il n’y a vraiment que l’idée de la mort qui puisse le rendre désagréable. Aussi, si l’on ne s’attendait pas à mourir, on croirait n’avoir senti sur le cou qu’une légère et agréable fraîcheur »[1]. C’est pour le moins avec un léger euphémisme que Joseph Ignace Guillotin décrivait la machine à laquelle la postérité à rattacher son nom : la guillotine ! Si ces propos peuvent nous paraitre déplacés ou même choquants. La parole du docteur Guillotin est pourtant sincère et ses intentions louables. Il propose à l’Assemblée constituante, dès le 1er décembre 1789, que « les délits de même genre seront punis par les mêmes genres de peines, quels que soient le rang et l'état du coupable », et demande que « la décapitation fût le seul supplice adopté et qu'on cherchât une machine qui pût être substituée à la main du bourreau ». En effet, sous l’Ancien Régime, les condamnés à mort étaient exécutés différemment en fonction de leur rang et état : les nobles périssaient par l’épée du bourreau tandis que les roturiers pouvaient subir le supplice de la roue ou la pendaison. Par volonté d'exemplarité, la justice met en scène les châtiments qu'elle inflige. En 1730, Jean Mazin, de Chastel et Benoît Bardel, de Rageade, accusés d’assassinat et de vol, furent condamnés à avoir « les jambes, bras, cuisses et reins rompus vifs sur un eschaffau qui, pour cet effet, sera dressé en la grande place ce cette ville de Saint-Flour et chacun d’eux mis ensuitte sur une roue, la face tournée vers le ciel pour y finir leurs jours »[2]. C’est donc bien dans un souci d’égalité, mais aussi de justice et d’humanité, qu’en mars 1792, l’Assemblée constituante décrète que désormais « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». C’est alors que le docteur Guillotin propose sa machine, assisté du docteur Louis, homme de science et expert médical. S’il n’en est pas à proprement parler l’inventeur, c’est bien lui qui fera adopter son usage par les législateurs.
La justice cantalienne n’attend pas longtemps pour mettre en œuvre ce nouveau mode d’exécution. Dès le 28 juillet 1792, Louis Prax, condamné à mort pour strangulation, est le premier cantalien à subir les affres de la guillotine. Cette première a lieu à Aurillac. Mais dès l’an IV, le siège du tribunal criminel du Cantal est fixé à Saint-Flour. Et sauf en de rares exceptions, c’est dans cette ville que se dérouleront désormais les futures exécutions capitales. Pour se conformer au décret impérial du 18 juin 1811 réglementant l'administration de la justice en matière criminelle, un nouveau règlement sur les frais d’exécution des arrêts criminels est établi par le ministère de la Justice. Une copie, extraite des archives de la sous-préfecture de Saint-Flour, en est ici présentée. L’article 2 fait état des « instruments servant aux exécutions » : un « grand échafaud pour les exécutions à mort », « un petit échafaud pour les expositions », « une machine à décapiter, avec ses accessoires », « des poteaux pour les expositions »… Car si la Révolution fait de la guillotine l'instrument unique du supplice, la justice conserve toute de même pour un temps les aspects théâtraux du châtiment. L'exposition des condamnés se maintient jusqu'en 1832, et les exécutions demeurent publiques jusqu’en 1939. A Saint-Flour, comme sous l’Ancien Régime et jusqu’en 1821, elles ont lieu sur la Place d’Armes dans la partie comprise entre le bailliage et la cathédrale. On y installe le grand échafaud sur lequel est hissée la guillotine à la vue du plus grand nombre. Ce dernier « est établi de manière à être fixé à chaque angle dans des pierres de taille, incrustées au pavé de la grande place de Saint-Flour ». A ses côtés se trouve le petit échafaud sur lequel on expose les condamnés. Lorsque le jugement le prescrit, c’est sur cet échafaud que le bourreau appose une marque aux fers rouges ou flétrissure sur l’épaule droite du condamné.
L’article 7 du nouveau règlement prescrit que « les préfets feront dresser un devis estimatif des instruments ». A cet effet, le sous-préfet de Saint-Flour commissionne, Antoine Delmas, maitre charpentier, et Jean Valadier, maitre serrurier. Charge à eux d’établir un devis estimatif des réparations nécessaires et des transformations permettant à ces instruments de « pouvoir être transportés et placés partout où il y aura lieu ». A la lecture du devis, le tout, bien que régulièrement utilisé[3], semble en très mauvais état : « l’escalier extérieur par lequel on monte sur l’échafaud doit être refait à neuf », « cet échafaud dont la superficie est de 48 mètres quarrés a besoin d’être remanié en entier », « la planche à bascule où le condamné est attaché doit être refaite à neuf avec coulisse » et « que n’y ayant point de billot, il doit être établi un en bois de chêne ». Quant à l’échafaud pour les expositions « il n’en existe pas ». Les artisans préconisent d’en construire deux, chacun pouvant « y exposer deux personnes, en y adaptant deux poteaux avec carcan à boulon, écrou, chaine et cadenas ». Ils notent cependant que « les fers pour les flétrissures existent pour avoir été faits nouvellement ». Toutefois, « il manque le réchaud, les pèles, pincettes et soufflets exigés par le règlement ». En 1818, un nouvel inventaire est prescrit par le préfet. L’état du grand échafaud laisse toujours à désirer : l’escalier est à rétablir et le plancher en mauvais état. La machine à décapiter est aussi à réparer. En revanche, le petit échafaud a été construit et il est jugé en état. Le billot en bois de chêne n’est plus manquant mais en mauvais état. Quant aux réchauds, pelles et soufflets, ils sont toujours manquants. Ceci expliquant cela, une note fait observer que « les objets désignés dans le présent inventaire sont tout bonnement placés sous un angar dressé au milieu des décombres d’une ancienne maison détruite appartenant à la ville, laquelle n’a qu’une mauvaise toiture et ne peut préserver des injures et des dégradations du mauvais temps ».
Cote ADC : 3 SC 8889
Document rédigé par Nicolas Laparra
[1] Base de données des députés français depuis 1789, Assemblée nationale.
[2] Le Bourreau et la guillotine à Saint-Flour / L. Bélard ; réédité par Géraud Jarlier, 1982.
[3] Jean-Pierre Serre dénombre approximativement 73 exécutions entre 1799 et 1815 : « Les exécutions capitales à Saint-Flour du Consulat à la troisième République » dans Bulletin de l'association Cantal-Patrimoine, 2007, p. 22-33.
L’église romane de Jou-sous-Monjou : une survivante en péril !
Les fragilités d’une des plus belles églises romanes de Haute-Auvergne
Notre-Dame-de-l’Assomption de Jou-sous-Monjou en Carladez est une des plus anciennes églises du Cantal. L’édifice a été construit sur l’emplacement d’un site carolingien au XIIe siècle, remanié au XVe siècle (entre 1422 et 1435), avec l’ajout de deux chapelles latérales. Elle porte les traces de la générosité de ses seigneurs : Bonne de Berry, vicomtesse de Carlat, nièce du roi Charles V, son fils Bernard d’Armagnac puis la famille Delarbre seigneur d’Escalmels. Elle a connu la guerre de Cent ans, les guerres de Religion, ainsi que bien des orages et tempêtes qui l’endommagent régulièrement. Fragilisée en raison de sa situation sur un terrain en forte déclivité, elle a fait l’objet de réparations successives. Un devis chez Me Couffinhal fait état de la remise en état du chœur et de la toiture en mai 1627[1]. Toutefois, en 1843 elle menace ruine[2]. Le maire, le 4 avril 1843, s’adresse au préfet pour l’informer de la nécessité de grandes réparations (toiture et fissures) et demander qu’un architecte se rende sur les lieux. Un premier projet est proposé par l’abbé Raoux, architecte diocésain pour 4446,30 francs en 1844. | |
Plan et coupe de l'église originelle signé T. Carriat (1845) |
Le préfet estime cependant qu’il ne comprend qu’une partie des réparations et missionne l’architecte du département, plus expérimenté, pour un second projet plus complet. Ce sont ses plans que nous présentons ici : un plan d’état des lieux et le projet de réparation. |
Le projet de Théophile Carriat en 1845
Théophile Stanislas Carriat est né le 9 décembre 1814 à Beton-Bazoches en Seine-et-Marne[3]. Fils d’un maçon, célibataire, il est architecte en chef du département du Cantal et des édifices diocésains de 1850 à 1863, date de son décès, à Aurillac, à l’âge de 48 ans, chez la veuve Fontange, rue des Frères[4]. Reynaud, inspecteur général des édifices diocésains, professeur d’architecture écrit en 1853 : « Je ne l’ai pas vu pendant assez longtemps pour porter sur lui un jugement bien assuré : je puis dire qu’il m’a paru intelligent de bonnes manières et disposé à se consacrer avec dévouement au service que vous avez bien voulu lui confier. La seule de ses œuvres dont j’ai pu prendre connaissance est une caserne de gendarmerie en construction à Aurillac et je dois dire qu’elle n’est pas de nature à donner une très haute opinion de son goût en architecture mais je n’en suis pas très effrayé parce que les édifices à la conservation desquels vous l’avez proposé n’ont pas la moindre importance au point de vue de l’art[5] ».Ce jugement confirme que l’époque n’est pas encore sensible à la beauté des églises romanes de notre région[6]. Les réparations sont évaluées à 10246,09 francs et se décomposent en trois temps :
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Plan et coupe de l'église projetée signé T. Carriat (1845) |
Le projet est fortement marqué par l’esprit néo-gothique, pour donner du lustre à cet édifice comme il le fera pour l’église d’Arpajon-sur-Cère. |
Les embrouilles financières
Le premier projet de l’abbé Raoux avait été accepté par le conseil municipal et, en 1844, celui-ci avait obtenu le droit de lever un impôt extraordinaire sur les plus riches contribuables et ce sur 5 ans. A cela s’ajoutent une aidede la fabrique de l’église, une souscription auprès des habitants et un secours de 1000 francs accordé par le ministre de l’Instruction publique.Mais le nouveau projet est d’une tout autre envergure. Les travaux de la première catégorie sont acceptés par les délibérations des 15 et 18 février 1846 et adjugé le 1er mars 1846 à Pascal Artigues. Le préfet estime qu’il faut de nouveau augmenter les impôts si les habitants ne veulent pas voir crouler l’église. Le conseil s’adresse directement au ministre pour obtenir une somme de 5999,79 francs pour les deuxième et troisième phases. Le ministre refuse et le chantier est arrêté.De plus, de nouvelles contestations apparaissent : les honoraires de l’architecte semblent trop élevées et, surtout, le travail de l’entrepreneur ne donne pas satisfaction. En conséquence, l’église continue à se dégrader.En 1896, le nouvel architecte du département,Aygueparse, propose un nouveau devis pour une simple consolidation : reprise des murs pour le chœur et l’abside, avec des contreforts, réfection de la voûte, de la charpente et du toit, adjonction de contreforts aux angles sud-ouest et nord-ouest[7]. Aujourd’hui l’église est de nouveau en grand péril. Distinguée par la Fondation du Patrimoine par un prix de 100 000 euros, elle fait l’objet d’un projet qui la mettra en valeur tout en gardant son authenticité[8]. Une souscription est ouverte pour sa sauvegarde.
Cote ADC : 2 O 81/2
Texte : Claude Grimmer Fontange
[1]A.D.Cantal : 3 E 167/3
[2]A.D.Cantal : 2 O 82/2
[3] A.D.Seine-et-Marne : 5 Mi 2393
[4] A.D.Cantal : 5 MI 49/2
[5]Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle sous la direction Jean Michel Leniaud, École des chartes, 2003.
[6]Le Dictionnaire statistique du département du Cantal de Jean-Baptiste de Ribier du Châtelet de 1824 ne mentionne pas l’architecture de l’église et Chalvet de Rochemonteix publie Les églises romanes de Haute-Auvergne en 1902.
[7]A.D.Cantal : E DEP 1443/6
[8] Valérie Rousset, Étude archéologique du bâti, Janvier 2018, Toulouse.