Un village en vert et rose:
le plan terrier du Chambon (Anglars-de-Salers)
Large d’un peu plus d’un mètre, ce plan contrecollé sur toile fait partie d’une collection de quinze documents semblables. Sans doute saisis comme biens nationaux à la Révolution, ils ont été entreposés dans un placard et redécouverts au moment où les Archives départementales ont déménagé de la rue de l’Olmet à leur emplacement actuel… en 1958.
Centré sur le Chambon d’Anglards-de-Salers, ce plan n’est pas sans nous rappeler le cadastre napoléonien : il fait apparaître tous les tracés des parcelles ainsi que les chemins, mettant en évidence les bâtiments en les rehaussant d’un trait d’aquarelle rose. Il lui est cependant antérieur : l’échelle est donnée en brasses, une mesure remplacée à partir de 1795 par le système métrique actuel (la brasse valait 1,7866 mètres). D’autres planches nous donnent un indice quant au contexte dans lequel ces planches ont été dessinées : certaines parcelles numérotées renvoient à la reconnaissance d’un tenancier « au nouveau terrier, folio ___ », le numéro du folio ayant été laissé en blanc.
Nous avons donc sous les yeux un plan terrier, c’est-à-dire le plan des possessions d’un seigneur, elles-mêmes listées dans un registre terrier. Ce dernier est primordial pour le seigneur : il s’agit d’un registre établi par un spécialiste, nommé feudiste (exerçant souvent en tant que notaire royal également), aidé d’un arpenteur. Le feudiste compile les titres anciens de la famille du seigneur pour établir la liste des droits qu’il a sur telles et telles terres et bâtiments, il convoque les personnes qui tiennent ces biens (les tenanciers, ou censitaires) et rédige leurs reconnaissances, par lesquelles ils reconnaissent « louer » au seigneur les biens mentionnés dans l’acte pour un « loyer » annuel, le cens, exprimé en argent, mais aussi en céréales et autres denrées, voire corvées. C’est sur ce document que s’appuie ensuite le seigneur pour prélever le cens.
La réfection d’un terrier est un chantier titanesque, mais rendu nécessaire au fil des décennies pour mettre à jour le nom des tenanciers et rappeler leurs obligations à ceux qui les « oublieraient ». Une vague de réfections a particulièrement lieu au XVIIIe siècle, les perceptions ayant pu être interrompues au moment des grandes famines et les seigneurs cherchant à revaloriser les cens. Sur ce point, l’arpentage va permettre d’ajuster plus précisément le cens à la surface de la parcelle.
Le contexte de la réfection de ce terrier ayant mené à la réalisation de ce plan n’est pas connu. Il semble cependant que le commanditaire en soit le prieuré bénédictin de Mauriac. Les planches représentent des lieux où les bénédictins sont possessionnés : Mauriac, Chalvignac, Le Vigean, Anglards-de-Salers et Soursac (en actuelle Corrèze). Bien plus, parmi les archives de ce monastère se trouve un « relevé du plan du Chambon, paroisse d’Anglards », qui mentionne les biens représentés sur le plan terrier. Ce document a peut-être servi à la rédaction du terrier lui-même puisqu’il est organisé tenancier par tenancier. En revanche, il n’indique pas le montant des cens dus aux moines.
La qualité des détails de ce plan est typique de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’alternance de couleurs en fonction des typologies de parcelles le rend à la fois facile à déchiffrer et agréable à l’œil : les terres labourées sont rayées de gris, les prés arborent différentes nuances de verts, les bois sont parsemés d’arbres et les jardins multicolores. La rivière d’Auze délimite le tout en traçant une frontière bleue au sud. On remarque des typologies héritées de la langue occitane, aujourd’hui disparues, comme les buges (prés en friche) ou les repastils (pâturage), ainsi que des lieux communs aux habitants : le couderc au centre du village et le four.
Chaque parcelle est associée au nom d’une personne, et parfois à un toponyme. Il s’agit là d’une source précieuse à la fois pour les généalogistes, mais aussi pour les historiens s’intéressant à la microtoponymie. Si certaines parcelles ont un nom très pragmatique, comme les « champs longs » ou la « terre de derrière le four », d’autres font sans doute allusion à une réalité déjà disparue à l’époque. C’est le cas de la « buge de la vigne », qui n’est visiblement pas plantée de vigne. Celle-ci n’était plus guère cultivée dans le Cantal, le Quercy fournissant un breuvage de meilleure qualité.
Dressé quelques décennies plus tard, en 1808, le plan cadastral du Chambon confirmera les tracés relevés par l’arpenteur du terrier : on reconnaît les « champs longs » à l’ouest du village, même si certaines parcelles ont été réunies. L’arrivée de nouvelles maisons, notamment autour du couderc, est peut-être un indice de l’augmentation de la population. Finalement, la différence la plus flagrante réside dans le fait que, pressé par l’ampleur de la tâche, les agents de l’Etat ne prendront plus le temps ni de relever les microtoponymes, ni d’embellir leurs plans de sillons ou d’arbres.
310 F 1
Relevés du plan 17 H 20