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Prédictions sataniques et humour démoniaque :
l’Almanach du Diable (1737) 
 

Le titre de ce fascicule attire l’œil et aiguise la curiosité, et c’est d’ailleurs l’intention que l’auteur, soi-disant le démon biblique Asmodée, revendique dans sa préface. « L’Almanach du Diable, contenant des prédictions très curieuses et absolument infaillibles pour l’année 1737 », suggère au lecteur un recueil parodique assaisonné d’une pointe d’humour caustique. L’Almanach est composé à la manière d’un ouvrage imprimé classique.
Il commence par une préface de l’auteur où ce dernier détaille l’objectif qu’il poursuivait et les difficultés qu’il a rencontrées lors de la rédaction de son œuvre, sans oublier d’introduire quelques jeux de mots : le risque de vexer certaines personnes qu’il aurait malencontreusement omis de citer, et la question de trouver une imprimerie où tirer le recueil. Celle des Nouvelles ecclésiastiques, revue janséniste clandestine, aurait pu convenir, « mais où diable la trouver ? ».



La solution finit par s’imposer : le Seigneur Lucifer aura sa propre imprimerie, et notre diable d’auteur parvient à obtenir un « permis d’imprimer et de colporter » ainsi qu’une « approbation authentique de diablerie », reproduits à la suite de la préface. L’auteur termine sur une note bien sensée pour un diable, qui laisse entrevoir une appréhension toute humaine quant à la manière dont sera reçu le texte :

« Quand on a aimé à rire des autres, il faut souffrir à son tour qu’ils rient de nous. La moitié du monde, comme vous le sçavez, se moque de l’autre, et le sage rit de tout ». Le permis d’imprimer parodie les privilèges royaux : Lucifer n’est pas « par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre », mais « par la colère de Dieu souverain des Enfers » ; en guise de salut, il souhaite à ceux qui ces présentes verront « grand appétit et gousset bien garny ».



L’autorisation vise à permettre à Asmodée, « inspecteur général de nos chaudières », de couvrir les dépenses extraordinaires qu’il a dû avancer en raison du grand nombre de nouveaux sujets que l’Enfer a accueilli ces dernières années grâce aux guerre de Louis XV.


Il est à noter que, à l’instar du roi de France, Lucifer exige que deux exemplaires soient déposés dans sa Bibliothèque publique. Instauré par François Ier en 1537 dans un but de conservation de la mémoire écrite, le dépôt légal a perduré aux siècles suivants, ajoutant à ses avantages patrimoniaux un exercice facilité de la censure. Suivent ensuite l’approbation sus-mentionnée, puis une liste de 67 prédictions.
La cible de ces prophéties ? Les « people » bien sûr, les célébrités du moment, courtisans, dignitaires ecclésiastiques et autres beaux parleurs, personnages dont se raillaient déjà La Rochefoucault et La Bruyère au siècle précédent. Il s’agit d’un texte à clef : personne n’est cité nommément, le but du jeu étant pour le public de trouver qui se cache derrière chaque personnage, et pour l’auteur d’éviter la censure. Il est difficile aujourd’hui de résoudre la plupart de ces énigmes : ce qui était frais dans l’esprit des lecteurs a peu souvent survécu dans la mémoire collective.


Ainsi la 12e prédiction fait référence au dramaturge Le Franc de Pompignan, dont les pièces sont aujourd’hui peu connues : Fier du succès d’une grande élégie [une pièce intitulée Didon] Que ces déclamateurs auront seuls fait valoir, Il viendra encore leur offrir la tragédie, [Zoraïde] Mais n’ayant plus de quoi payer la Compagnie, Il ne pourra pas la faire recevoir.
Certaines prédictions sont générales (« deux grands rimeurs, l’un jeune l’autre vieux [c’est-à-dire Voltaire et Rousseau], très jaloux de leur renommée, se lâcheront cent traits injurieux […] »), d’autres, comme celle concernant Le Franc de Pompignan, font référence à un événement ayant eu lieu en 1736. Les thèmes abordés sont divers, mais les prédictions tournent très souvent autour du jansénisme, de leur querelle avec les jésuites et de la bulle Unigenitus. Contrairement aux jésuites qui, pour l’expliquer simplement, considèrent que les hommes peuvent par leurs actions obtenir la grâce de Dieu, les jansénistes estiment que tout est écrit d’avance et que la grâce de Dieu est accordée indépendamment de notre comportement.

Ils s’attirent ainsi l’animosité du pape Clément XI, qui fulmine en 1713 la bulle Unigenitus, condamnant 101 propositions tirées de l’ouvrage janséniste de référence de Pasquier Quesnel, les Réflexions morales. Cette bulle va être fortement contestée et l’affaire se poursuivra encore pendant une cinquantaine d’années. Cette forte présence de la cause janséniste dans l’Almanach du Diable a laissé supposer que l’auteur en était un neveu de l’auteur des Réflexions morales. Emprisonné à la Bastille, il se pend le 1er juin 1738 sans avoir avoué… le mystère reste donc entier.

L’ouvrage a été aussitôt interdit, les exemplaires brûlés. Il est par conséquent rare d’en trouver. Celui qui est exposé ici est une copie manuscrite, peut-être effectuée à partir d’un original ayant échappé à la censure. Car après tout, que peut la censure contre le Diable ? 
Fonds Mazerolle

 

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