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Le permis de chasse du sieur Espinasse (1844) 

C’est la fin de l’été, le préfet du Cantal Francisque Petit de Bantel a déclaré l’ouverture de la chasse le 25 août 1844, et M. Jean Baptiste Michel Espinasse désire aller taquiner bécasses et perdrix. Il adresse donc sa demande au préfet, par l’intermédiaire du maire de Salers, la commune où il réside, et c’est ce document en forme de diplôme qu’on lui délivre.
De très grande taille (il mesure environ 33 cm par 41), ce permis en impose par sa forme officielle : belles lettres, double signature du préfet et de son secrétaire général, cadre de fresques végétales, filigrane représentant Louis-Philippe et, en grandes majuscules, l’invocation « Au nom du roi ». La photographie étant encore à ses premiers balbutiements, on indique le signalement détaillé du porteur dans la colonne de gauche : son âge (57 ans), sa taille (1, 67m), et la description point par point de son visage. M. Espinasse a les cheveux, les sourcils, la barbe et les yeux gris, le front rond, le nez aquilin, la bouche moyenne, le menton rond, le visage ovale et le teint brun ; ce portrait-robot suffira au garde-champêtre qui contrôlera le chasseur. Mais cet aspect solennel est contrarié par les ratures qui apparaissent à différents endroits du permis : cela ne vient-il pas annuler la validité du document ?


1844 est une année importante pour la législation de la chasse, alors que les choses avaient été peu encadrées depuis la Révolution. Le 4 août 1789 est votée l’abolition des privilèges, dont celui de chasser. Mais cette démocratisation de la chasse entraîna deux conséquences auxquelles on n’avait pas pensé alors : d’une part la destruction des récoltes par une pratique irrespectueuse sur les terres d’autrui, et d’autre part la raréfaction du gibier. Napoléon décide donc, par un décret du 11 juillet 1810, d’instaurer l’obligation pour les chasseurs d’obtenir des passeports et permis de port d’armes de chasse, au prix de 30F (il ne sera plus qu’à 15F qu début des années 1840). Ce prix, prohibitif pour une grande partie de la population, réduisit le nombre de chasseurs. Mais il faut attendre la loi du 3 mai 1844 pour que la chasse soit véritablement encadrée.

Cette loi traite à la fois des pratiques de chasse et des chasseurs. Elle exclut d’emblée toute la population « réputée dangereuse » : le chasseur doit être inscrit au rôle des contributions foncières, autrement dit il doit être propriétaire, ce qui fait de lui un homme respectable. Toute personne ayant subi une condamnation pénale, notamment pour mendicité ou vagabondage, en est exclue. Les enfants mineurs de 16 à 21 ans et les domestiques peuvent bénéficier d’un permis, mais restent sous la responsabilité du maître de maison.

Outre ces précautions relatives aux chasseurs, la loi tente de protéger le gibier en interdisant la chasse pendant les périodes de reproduction ou de migration : elle est limitée à une période précise de l’année, déterminée par le préfet de chaque département, et la destruction des œufs est prohibée. Seules deux techniques de chasse sont autorisées, « soit à tir, soit à courre, à cors et à cris ». L’utilisation d’appeaux est proscrit. La France étant un pays où la propriété privée est un droit fondamental, celle-ci est en bonne place dans la loi de 1844 : l’article 2 dispose qu’un propriétaire peut chasser sur ses terres sans permis, à condition qu’il s’agisse de « possessions attenant à une habitation et entourées d’une clôture continue faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins ». Par ailleurs, la chasse n’est autorisée sur les terres d’autrui qu’avec son consentement, et à condition que ces terres soient « dépouillées de récoltes ». On évite ainsi tous les abus ayant eu lieu depuis la Révolution.

Le permis de port d’armes de chasse devient donc un permis de chasse, mais les nouveaux documents n’ont pas le temps d’être imprimés avant le mois d’août ; on utilise alors les anciens formulaires, en y apportant des corrections à la main. Ce changement est également l’occasion d’augmenter le prix du permis : 15F pour l’Etat, et 10F supplémentaires pour la commune.

Parmi toutes les marques d’authentification, seule la signature du porteur manque, de même que sur la plupart des autres permis conservés dans les archives communales de Salers. On aurait pu croire que le sieur Espinasse n’était jamais venu retirer son permis, mais les nombreuses pliures du document semblent nous indiquer le contraire. Il est probable que les chasseurs aient jugé cette signature inutile, voire même qu’ils n’aient pas pris garde à cette rubrique. Au moment du renouvellement de leur permis, ils venaient présenter l’ancien pour soutenir leur demande, et celui-ci a été conservé par le secrétaire de mairie.

ADC E DEP 1325/27


 

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