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Portrait statistique de l'apiculture cantalienne (1841):

2025 05 01

 Au cœur de l’actualité environnementale depuis quelques années, en raison de leur inquiétante surmortalité, nous savons tous désormais la place prépondérante qu’occupent les abeilles dans la biodiversité. Une journée mondiale leur est ainsi dédiée le 20 mai, jour de naissance en 1734, d’Anton Janša, pionnier de l’apiculture moderne. Les populations d’abeilles sauvages et d’abeilles domestiques diminuent sous l’effet de plusieurs facteurs : destruction de leur habitat naturel et de la flore, exposition aux pesticides et aux virus, et effets du changement climatique. Les abeilles dites domestiques sont les plus exposées. Les apiculteurs cantaliens ont ainsi perdu 30 à 40 % de leurs colonies en 2024. Il existe désormais en France un Observatoire des Mortalités et des Affaiblissements de l’Abeille mellifère (OMAA) dont l’objectif est d’inventorier et d’analyser ces épisodes de surmortalité et de déclin des colonies d’abeilles. D’après les chiffres du ministère de l’Agriculture, la France compte aujourd’hui plus de 71 000 apiculteurs qui entretiennent près de 1,4 millions de ruches en production. Comme on peut le comprendre, il est indispensable de disposer de statistiques fiables pour étudier l’évolution de ces phénomènes dans le temps. Le document présenté en ce mois de mai témoigne de cette volonté. Il s’agit de statistiques apicoles relevées dans l’arrondissement de Saint-Flour en 1841.
Les premières enquêtes consacrées à l’agriculture apparaissent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle sous l’influence des progrès de la science économique. Il faut toutefois attendre 1833 et la création du Service central de la Statistique, devenu par la suite Statistique générale de la France, pour que se mette en place une véritable pratique statistique institutionnalisée et centralisée. La première enquête agricole, rattachée à un Service chargé de la Statistique, est réalisée entre 1836 et 18401. Le 28 février 1841, le bureau de la Statistique générale de France, demande au préfet du Cantal de lui adresser pour l’achèvement de la Statistique agricole du Royaume trois tableaux séparés par arrondissement des statistiques des productions apicole, de laine et de paille. Concernant l’apiculture, il s’agit d’indiquer « la quantité de ruches d’abeilles exploitées, la quantité de miel qu’elles donnent chacune annuellement, celle de cire » et « le prix moyen de chacun de ces produits ». Pour répondre à cette requête, le préfet s’adresse à ses sous-préfets chargés de lui faire remonter l’information. Pour se faire, le sous-préfet de Saint-Flour, demande à chaque maire de son arrondissement de lui fournir les renseignements requis. Dès le 10 juin, le ministère demande au préfet « de hâter l’exécution et l’envoi des données complétives de la Statistique agricole […] relatives aux abeilles, aux laines et aux pailles. Le travail qui doit les comprendre touche à sa fin ».
Ce n’est toutefois que le 18 juillet, que le sous-préfet de Saint-Flour transmet au préfet le relevé des états fournis par les maires. Il se plaint de la mauvaise volonté de certains maires à le seconder : « il m’a été impossible de vous faire parvenir plutôt (sic) ce travail parce que, malgré cinq rappels, un grand nombre de maires ne m’en ont pas fourni les éléments ; j’ai dû dès lors, en me conformant aux dispositions de votre lettre du 9 de ce mois, établir des calculs approximatifs, en prenant pour base le terme moyen des résultats donnés dans les communes voisines ». On touche là aux limites de ces statistiques, limites dont le sous-préfet a bien conscience : « ces renseignements vous paraîtront, comme à moi, bien incomplets, en faisant attention aux différences énormes constatées dans les produits ou dans leurs prix, d’une commune à l’autre ; le terme moyen dans l’arrondissement serait peut-être plus exact, je l’ai fait établir à la fin de mon tableau ». Au total, on compte alors 3077 ruches exploitées dans l’arrondissement pour un total de 4266 kg de miel produit soit 1,386 kg par ruche. Comme le signale le sous-préfet, les chiffres divergent beaucoup d’une commune à l’autre. Ainsi, à Anterrieux, il a été récolté 126 kg de miel pour seulement 20 ruches soit plus de 6 kg par ruche tandis qu’à Chaliers, c’est seulement 6 kg de miel pour 70 ruches ! Qu’est-ce qui peut expliquer de tels écarts ? Erreurs statistiques, évènement climatique exceptionnel ou maladie ?
Les moyennes pour l’arrondissement sont peut-être plus parlantes. En tout état de cause, elles ne sont pas très éloignées de celles d’Aurillac avec une moyenne arrondie à 1,5 kg de miel récoltés par ruche. Dans sa réponse finale, le préfet dit avoir « fait recueillir aussi soigneusement que possible les documents demandés ». Il se permet toutefois d’ajouter « quelques observations générales qui n’ont pu trouver place sur ces tableaux ». Ces remarques, très instructives, nous en apprennent en définitive plus sur l’apiculture cantalienne d’alors que les statistiques elles-mêmes : « pour l’élevage des abeilles dans ce département, on ne suit aucune méthode bien rationnelle ni pour la forme des ruches, ni pour l’époque de la récolte du miel ni pour l’exposition, ni pour les soins à leur donner. Aussi y-a-t’il une différence très grande dans le produit en miel et en cire d’une ruche d’une commune à l’autre ». Le préfet tente-t-il de justifier les écarts statistiques relevés ou s’agit-il d’une véritable explication à ces différences ? A la lecture de ces documents, il n’y a pas assez de données fiables pour permettre de confirmer ou d’infirmer ses observations. Il est aussi demandé au préfet de fournir le prix moyen du miel et de la cire, mais là encore les chiffres varient fortement d’une commune à l’autre : de 40 centimes le kg de miel aux Ternes à 1,60 franc à Neuvéglise. Le prix moyen pour l’arrondissement est de 77 centimes. Le préfet observe qu’il « ne se vend du reste que point ou peu de miel, cette denrée n’entre pas dans le commerce, elle se consomme dans les ménages. La cire seule se vend et encore la plupart des cultivateurs en mettent en réserve pour la fabrication de cierges qu’ils ont obligés de fournir à la fabrique des églises quand ils ont des offices ou des messes à faire dire ».
Malgré ses imperfections, cette étude statistique permet d’avoir une image de ce que pouvait être l’apiculture cantalienne dans la première moitié du XIXe siècle. Les termes d’apiculture ou d’apiculteur ne sont d’ailleurs jamais employés. Il semble plutôt s’agir d’une production encore marginale, ancrée dans les habitudes de quelques cultivateurs, et intégrée à une agriculture autosuffisante.
Cotes ADC : 130 M 2.
Texte rédigé par Nicolas Laparra.
1 https://bibagri.hypotheses.org/2288


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