Des Sanflorains "habillés pour l'hiver"!
Rôle du vingtième de la paroisse de Saint-Flour (1753)
Quelques mois après la conclusion de la guerre de Succession d’Autriche (1741-1748), et dans un contexte de fort endettement et d’accroissement constant des charges du royaume de France, le contrôleur général des finances Jean-Baptiste de Machault d'Arnouville établit en 1749 un nouvel impôt qualifié de « vingtième ». Remplaçant le dixième, cette redevance doit financer le remboursement de la dette publique jusqu’à ce que les revenus ordinaires suffisent à couvrir les dépenses de l’Etat : elle perdure en réalité jusqu’en 1789, et se trouve même complétée par un deuxième (1756), puis un troisième vingtième (1759-1763).
L’édit du 19 mai 1749 crée, « pendant les premières années », une « imposition du vingtième de tous les biens et revenus de nos sujets », ce qui correspond à un taux de 5%. Il s’agit d’un impôt novateur présenté, par ses promoteurs, comme un impôt universel et équitable, établi sur l’ensemble des sujets. L’introduction du vingtième consacre le principe de quotité, selon lequel les impôts doivent être payés par tous les contribuables, sans distinction, en proportion de leurs facultés : ce fonctionnement, remettant en question l’exemption fiscale des ordres privilégiés tout comme la pratique de la répartition de l’impôt en usage dans les pays d’Etat, provoque de violentes protestations. Par ailleurs, ce type d’imposition exige une transparence forte de la part des particuliers. L’édit de 1749 ordonne à tout propriétaire ou usufruitier de fournir une déclaration exacte des biens qu’il possède ou dont il jouit, à partir de laquelle sont déterminés les revenus imposables. Le vingtième porte ainsi sur les revenus de l'industrie et du commerce, mais aussi sur les propriétés dont les bénéficiaires doivent déclarer la nature, l'étendue et le produit net moyen annuel. Enfin, afin d’assurer la perception de l'impôt, Machault crée la charge de contrôleur des vingtièmes[1].
Louis Estadieu est l’un de ces contrôleurs, chargés d’enquêter dans certaines paroisses cantaliennes et de vérifier les rôles d’imposition. Cette activité a produit une importante masse d’archives, plus de 7 mètres linaires aux Archives du Cantal. Mais au-delà de leur volume, ces archives sont précieuses par la diversité et la quantité d’informations qu’elles renferment. En effet, les contrôleurs complètent leur travail par des observations générales portant sur les paroisses contrôlées. Elles sont d’importance et de précision assez inégales, certaines tiennent en peu de lignes, mais d’autres plus détaillées, sont de véritables petites études de géographie économique et ethnologique, comme celles de Louis Estadieu, par exemple, pour Saint-Flour, Massiac, Calvinet ou encore Giou-de-Mamou. La plupart ont pour objet non seulement les impositions, mais aussi la situation géographique, la nature et le rendement des terres, la répartition des cultures, le caractère et les mœurs des habitants, le commerce et l’industrie.
Le rôle du vingtième, présenté ici, en est un bon exemple. Dans ses « observations générales », le contrôleur Estadieu donne une description détaillée sur près de six pages : "La ville de Saint-Flour est la capitale de la Haute-Auvergne, elle est épiscopale […]. Sa situation est extrêmement élevée sur le roc, cependant bornée et commandée du côté du levant par les montagnes de la Margeride, du côté du midi par celles d'Aubrac, du couchant celles du Cantal et du septentrion celles du Mont-Dore, de sorte qu’elle est exposée à tous les inconvénients de ces montagnes, qui, étant 8 mois de l'année couvertes de neige, la rendent extrêmement froide, en effet on ne connaît point de situation où le froid se fasse mieux sentir, au point que dans l’hiver on a toutes les peines du monde à sortir des maisons, et on observe par surcroit de malheur pour les habitants que le bois y est extrêmement rare. La ville, compris son faubourg, contient 640 maisons laïques très mal bâties et plus mal distribuées […]. L'évêque en est seigneur spirituel et en cette qualité est gros décimateur. Il est encore seigneur temporel à cause de son évêché et a la haute, moyenne et basse justice. Il y a un chapitre cathédral composé de 4 dignités, de 20 chanoines et de 20 prébendiers, un chapitre collégial composé de la dignité de prévôt et de 15 chanoines, une seule paroisse desservie par un curé, 2 vicaires et 12 communalistes. Il y a un séminaire dirigé par des prêtres de Saint Lazare, assez bien bâti, très mal situé et aussi mal distribué, mais très occupé, ces montagnes donnant beaucoup de montagnards, ils fourmillent en prêtres, les familles étant très nombreuses, et la facilité de les faire étudier fait qu'on en destine beaucoup à l'Eglise […]. Les patrimoniaux et les octrois forment un revenu de 5420 livres. Il y a trois marchés par semaine et cinq foires par an peu considérables […] ». Mais il ne se contente pas de cette description et se permet des commentaires très sévères et méprisants sur les Sanflorains présentés comme « très sauvages, grossiers, impolis, cependant assez dociles, grands ivrognes, gourmands, malpropres et fort paresseux. Il est facile, avec toutes ces qualités, de conclure que ce sont de très mauvais sujets et très pauvres […] Ils n’ont ni conduite ni émulation… ». Il estime, implacable, que si Saint-Flour est une des villes les plus favorisées sous le rapport des routes « cette émulation manquant et la paresse triomphant, elle est la plus misérable de la province et on doit attribuer son malheur à la mauvaise conduite de ses citoyens qui ne savent ou ne veulent profiter des avantages que la Providence leur fournit ».
On ignore si le contrôleur Estadieu avait quelque grief envers les habitants de Saint-Flour. Peut-être ces derniers n’avaient-ils pas très bien reçu cet envoyé de l’intendant chargé de venir contrôler le montant de leur richesse… En tout état de cause, et pour employer une expression de circonstance apparue à la même époque, les voilà « habillés pour l’hiver » !
[1] Lucien Bély, Dictionnaire de l'Ancien Régime royaume de France : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2010, 1384 p.
Document rédigé par Nicolas Laparra
Cote ADC : C 282.