Murat et Notre-Dame de la Haute-Auvergne
Un exemple de photomontage
Au premier coup d’œil ces deux photographies de la gare de Murat peuvent paraître identiques, mais il ne faut pourtant pas être un expert du jeu des sept différences pour s’apercevoir qu’elles ne le sont pas totalement. Les plus observateurs auront vite remarqué l’apparition sur l’un des deux clichés de Notre-Dame de la Haute-Auvergne veillant sur la ville du haut de son rocher. Cette apparition mariale n’a rien de miraculeuse et s’explique, lorsqu’on y regarde de plus près, par un habile photomontage.
La photographie originale a été prise par Michel Berthaud (1845-1912). Ce photographe était à la tête d’un important atelier portant le nom d’Hélios au 9 rue Cadet à Paris, mentions que l’on retrouve sur les deux clichés. Il prend cette vue de la gare de Murat en 1873, à l’occasion d’une série de photographies de la ligne de chemin de fer Arvant-Aurillac, réalisée pour le compte du Ministère des travaux publics, éditeur du cliché[1]. A cette date la statue de la Vierge n’occupe pas encore le sommet du rocher de Bonnevie. C’est d’ailleurs la seule photographie conservée par les Archives départementales où l’on peut apercevoir le rocher sans sa statue, ce qui en fait toute sa richesse. Cette dernière n’y prendra place qu’en 1878.
L’inauguration a lieu le 18 juin 1878 à l’occasion de fêtes célébrant la double cérémonie du couronnement de Notre-Dame-des-Oliviers, conservée en l’église paroissiale de Murat, et de l’inauguration de la statue érigée en son honneur et qui prendra le nom de Notre-Dame de la Haute-Auvergne. Les festivités sont importantes et s’étalent sur quatre jours avec comme point d’orgue la journée du 18 juin. Plusieurs comités, organisés dans les principaux quartiers de la ville, préparent des arcs de triomphe et des décorations sur le long parcours de la procession. C’est le directeur des écoles communales qui a la charge de diriger les projets, de fournir les plans et de présider à l’exécution des travaux. Le plus important de ces projets est pour la place du Balat, théâtre principale de la fête. C’est là qu’a lieu la cérémonie du couronnement, précédée d’une messe pontificale. A cette occasion la Compagnie d’Orléans affrète deux trains spéciaux arrivant à Murat à 8 h. et 8 h. 20, en provenance d’Arvant et d’Aurillac. Les deux trains repartiront à 23 h. Le matin du 18 juin, de 3 h. 30 à 8 h., des messes sont données à tous les autels de l’église paroissiale et dans les chapelles de l’hospice et du couvent. A 8h. débute la première procession, entre l’église paroissiale et la place du Balat où se déroule la cérémonie du couronnement de la statue de Notre-Dame des Oliviers suivie de la procession de retour à l’église. L’après-midi est consacrée à l’inauguration avec à 14 h. 30 une bénédiction de la statue monumentale depuis la place du Balat suivie d’une procession au rocher. La journée se termine par une nouvelle procession aux flambeaux dans les rues de la ville.
C’est peut-être à l’occasion de ces festivités qu’est apparue la deuxième photographie comportant l’ajout de la statue. Elle porte la mention « Bonnet, mercier A Murat ». La photographie originale de Michel Berthaud semble donc rééditée sous l’égide d’une mercerie murataise souhaitant faire le commerce des photos-souvenirs. Même si nous ne connaissons pas la date exacte de cette réédition, l’hypothèse des fêtes de 1878 semble très probable. Nous ignorons par qui et par quelle technique a été réalisé ce photomontage. Là aussi nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Le tirage papier porte la mention manuscrite « Berthaud, 9 rue Cadet ». Est-ce que ce « trucage » a été réalisé par l’atelier de Michel Berthaud sur commande de la mercerie Bonnet ? Peut-être à l’aide d’un dessin apposé sur la plaque de verre originale ? Le photomontage peut faire illusion même si la taille de la statue semble disproportionnée par rapport au rocher. A cette date la photographie n’est pas encore très répandue, il faut attendre le 25 juillet 1891 pour que L’illustration publie la première photographie reproduite dans un périodique.
Les lecteurs doivent se contenter des descriptions qu’en font les journalistes tel A. Vassal, rédacteur de La Semaine catholique (cote ADC : 151 JOUR 1) : « Voyez-là se détachant dans les airs, d’où elle semble descendue sur le rocher basaltique de Bonnevie. […] et l’immense rocher de 140 mètres, semble avoir été taillé pour lui servir de piédestal. […] Nous contemplons Marie ; elle est arrivée là comme une messagère céleste ; son pied gauche est posé légèrement sur le globe qu’elle a parcouru ; le pied droit, replié en arrière, prêt à suivre, est arrêté dans son mouvement. L’œil de la Vierge a découvert la cité ; c’est le lieu de son repos ; elle contemple, et son bras gauche présente à la ville ce Jésus qu’elle enfanta […] S’il fallait lui donner un nom, nous dirions : c’est la Vierge aimable. […] La statue a pour assise un piédestal quadrangulaire à pans coupés, en trachytes du pays ; sa couleur grisâtre l’harmonise si bien avec la montagne, qu’il semble une protubérance du rocher ». Elle a été fabriquée par les fonderies Villard et Tournier de Lyon et mesure 14 mètres de hauteur (piédestal 6 m., vierge 8 m.) pour un poids total de 1378 kg.
[1] Voir la notice FRBNF45907903 de la Bibliothèque nationale de France
Document rédigé par Nicolas Laparra
Cote ADC : : 66 NUM 515 et 516 (photographies originales prêtées par M. Lionel Combes) et 10 NUM 470