Vrai ou faux assignat ?
Signes caractéristiques de falsification.
L’assignat est une monnaie fiduciaire mise en place sous la Révolution française. C’est un système de papier-monnaie dans lequel la valeur nominale (inscrite sur les assignats) est supérieure à la valeur intrinsèque (la valeur du papier). Cette valeur est garantie par l’émetteur et repose sur la confiance (fiducia en latin) que lui accordent les utilisateurs. Pourtant à l’origine, l’assignat n’est pas une monnaie mais un titre d’emprunt émis par le Trésor en 1789, et dont la valeur est gagée sur les biens nationaux par assignation, d’où le terme d’assignat.
A la veille de la Révolution, la monarchie française est très endettée. La moitié du budget sert à résorber la dette qui ne cesse de croître. Les révolutionnaires héritent d’une situation financière désastreuse et il faut, de toute urgence, trouver le moyen d’assainir les finances publiques. Pour y remédier, le député Talleyrand propose de confisquer les biens du clergé. Le 2 novembre 1789, l'Assemblée nationale constituante décide que tous les biens du clergé seront « mis à disposition de la Nation ». Ils deviennent des biens nationaux, destinés à être mis aux enchères pour renflouer les caisses de l’État. Cependant, cette vente nécessite du temps que la situation des finances publiques ne permet pas. C’est ainsi qu’il est décidé de créer des billets dont la valeur est assignée (autrement dit « gagée ») sur les biens du clergé.
En théorie, le fonctionnement de l’assignat est simple. En attendant leurs ventes, les biens nationaux sont divisés en assignats comme pour une société par actions. Tout citoyen qui désire acheter des biens nationaux doit au préalable acquérir des assignats. Une fois la vente d’un bien réalisée, le produit de la vente est inscrit au registre civil et, de retour dans les mains de l’État contre remboursement, les assignats doivent être détruits. Mais très vite, dès le début de l’année 1790, le système s’emballe. Pour qu’il puisse fonctionner, il ne faut surtout pas qu’il y ait plus d’assignats en circulation que la valeur réelle des biens nationaux. Or, pour faire face au manque d’espèces, le 17 avril 1790, l’assignat est transformé en un papier-monnaie. L’État, toujours à court de liquidités, l’utilise pour toutes ses dépenses courantes. Il ne détruit pas les assignats qu’il récupère ; pire, il imprime plus d’assignats que la valeur réelle des biens nationaux. En conséquence, l’assignat se déprécie et perd une grande partie de sa valeur, ce qui engendre une forte inflation et aggrave la crise économique.
De plus, les assignats sont facilement falsifiables et les faussaires très nombreux. Si beaucoup de faux sont assez grossiers et facilement décelables, il en va autrement des faux imprimés à l’étranger pour le compte des royalistes. Une grande quantité de faux assignats, fabriqués en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse et en Grande-Bretagne, avec la complicité du gouvernement britannique, alors l’un des principaux ennemis de la France, circulent dans le pays. La lutte contre la contrefaçon devient une priorité pour la République. En 1793, la Direction générale de la Fabrication des Assignats publie une « collection de procès-verbaux des signes caractéristiques auxquels on peut reconnoître la falsification d’Assignats ». En préambule, le directeur général Delamarche, rappelle : « j’ai dû m’occuper de tous les moyens qui étoient en mon pouvoir pour vous prémunir contre la fausse monnoie, que les ennemis de la République s’efforçoient d’introduire dans la circulation. Sitôt qu’un Assignat faux d’une nature nouvelle s’est présenté à la vérification, j’ai fait procéder à la rédaction du procès-verbal des signes caractéristiques de falsification auxquels on pût le reconnoître ». Il souhaite une diffusion la plus large possible de cette collection de procès-verbaux qui doit donner « les moyens de distinguer avec facilité les Assignats contrefaits ».
Les Archives départementales du Cantal conservent quelques exemplaires d’assignats dont un de 5 livres créé le 1er novembre 1791. Mais s’agit-il bien d’un vrai ? L’étude des signes caractéristiques des faux assignats de 5 livres doit nous permettre d’y répondre. Le procès-verbal a été établi par comparaison entre un faux et un véritable assignat créé le 10 juin 1790, assignat en tous points identique à celui présenté ici, si ce n’est sa date d’émission. Le directeur Delamarche, assisté des citoyens Gatteaux, graveur, Pierre Didot, imprimeur, et Firmin Didot, fondeur en caractères d’imprimerie, font état de près d’une trentaine de signes de falsification. Les premières imperfections qu’ils signalent sont « que dans l’espace supérieur entre les vignettes, contenant la désignation de la création, dans le mot ASSIGNAT qui s’y rencontre, les deux SS du mot ASSIGNAT sont extrêmement maigres » ; même chose pour la lettre I qui « est très maigre et manque des empattements nécessaires à sa perfection ». La plupart de ces remarques tiennent à la forme et au positionnement des lettres, chiffres et symboles présents sur le billet. L’exemplaire conservé par les Archives ne porte aucun des signes caractéristiques, assez grossiers, permettant de reconnaître un faux. Le seul doute possible réside dans « le timbre sec représentant l’effigie du roi » qui est dit « mal exécuté » dans le cas des faux assignats et qui n’est pas non plus très visible sur cet exemplaire. Mais peut-être peut-on y voir un effet de l’usure du temps ? Enfin, il a bien été imprimé sur du papier à filigranes nécessaire à la confection des vrais assignats, ceux-ci étant bien visibles à la lumière par transparence. A l’inverse, le faux « est imprimé sur papier commun ». C’est la mesure de sécurité la plus difficile à contourner puisqu’il faut disposer du bon papier. En conclusion, il semble donc bien s’agir d’un véritable assignat.
Cote ADC : L186 - 6 J 27
Document rédigé par Nicolas LAPARRA
Sangsues, potions cordiales et compresses: les premiers soins aux ouvriers blessés à la fin du 19ème siècle
Le document proposé ce mois-ci est une note présentant une série d’instructions à suivre pour « les premiers soins à donner aux ouvriers blessés sur les chantiers ». Elle a été produite par l’administration des Ponts et Chaussées et découverte dans les archives de la subdivision de Maurs en cours de classement. C’est un document intéressant à plus d’un titre puisqu’il est une source non seulement pour l’Histoire de la santé et de la sécurité au travail, mais aussi pour l’Histoire des premiers secours. Sa date d’impression, à savoir la décennie 1890, ajoute à son intérêt puisque nous sommes alors aux prémices de ces deux objets d’études historiques.
C’est au cours de la révolution industrielle du XIXe siècle que la question du rapport entre santé et travail commence à se poser de façon plus prégnante, conséquence du libéralisme effréné qui sévit à cette époque. Les rapports au travail reposent alors sur une base exclusivement contractuelle. Le contrat de travail fait naître à la charge de l’ouvrier une obligation d’exécuter le travail qui lui est confié, et à la charge de l’employeur, une obligation de payer le prix convenu. En France, dans la première moitié du XIXe siècle, il n’y a pas ou très de peu de législation encadrant les conditions de durée, d’hygiène et de sécurité au travail. Il faut attendre le 9 avril 1898 pour qu’une première loi organise la réparation des accidents du travail. Elle va peu à peu inciter les employeurs à se pencher sur les conditions de travail des ouvriers et à prendre en compte leur sécurité, afin d’éviter les accidents mais aussi de remettre au travail le plus rapidement possible les blessés.
Ce document, très développé et très précis quant aux divers soins à apporter aux blessés, est un document précurseur. Il ne s’agit plus seulement de prévenir les accidents mais d’essayer d’en limiter la portée. Dans certains secteurs professionnels, comme ici les travaux publics, les accidents font partie de l’expérience des ouvriers. S’il apparaît impossible de les supprimer, limiter leurs conséquences sur la santé des travailleurs représente un enjeu pour les employeurs. C’est dans ce contexte que l’administration des Ponts et Chaussées édite cette note qui « sera remise à chaque surveillant, à chaque entrepreneur, à tous les chefs de chantier, et restera affichée dans les bureaux des Ingénieurs, des Agents-voyers et des Entrepreneurs ». L’objectif est bien d’informer le plus grand nombre possible d’ouvriers sur les différentes conduites à tenir en cas d’accident.
Il s’agit de les guider dans les premiers soins qu’ils peuvent apporter à un collègue blessé dans l’attente de l’arrivée d’un médecin. A cette époque, avec des moyens de communication limités et sur des chantiers parfois éloignés, cela pouvait prendre plusieurs heures : il était donc plus que nécessaire de savoir prendre en charge une personne blessée en attendant le médecin. La première recommandation « est de l’isoler et de la placer sur un brancard ou sur un matelas dans un endroit bien aéré, et à l’abri du froid et de l’humidité ». Le document donne ensuite diverses instructions en fonction du type de blessure rencontré. Par exemple, en cas de fractures, blessures que l’on imagine fréquentes sur les chantiers : « Quand un os est cassé, s’il n’y a pas de plaie, on doit maintenir le membre dans l’immobilité la plus complète ; opérer une irrigation d’eau froide. Si la fracture est compliquée de plaie avec issue d’un ou plusieurs fragments, on lave la plaie avec soin avec de l’eau ». Il s’agit là de gestes de bon sens que l’on pourrait encore pratiquer de nos jours. Mais les recommandations ne s’arrêtent pas à ces simples soins : « On tâche de faire rentrer les fragments au moyen de tractions douces et régulières sur chaque extrémité du membre fracturé et en un sens opposé, et, si l’on réussit on maintient la fracture en place au moyen d’un bandage ». On imagine aisément la complexité d’un tel geste médical qui n’est pas à la portée du premier venu. L’auteur du texte, prévenant, précise tout de même qu’il faut agir avec douceur !
Sont aussi abordées, entres autres pathologies, l’apoplexie (aujourd’hui accident vasculaire cérébral – au remède bien particulier), mais aussi l’asphyxie, la perte de connaissance, les brûlures, les contusions, les hémorragies ou encore les empoisonnements, avec en regard les premiers soins à pratiquer et à l’inverse les gestes à éviter. Si la grande majorité d’entre eux sont encore effectifs, comme l’application d’un point de compression en cas d’hémorragie, certains peuvent nous paraître aujourd’hui désuets, inappropriés ou inefficaces, bien que conformes aux connaissances médicales de l’époque. En cas de mal de tête, on notera ainsi parmi les mesures plus habituelles (obscurité, calme, infusions calmantes, sinapismes ou cataplasmes à la moutarde…) l’usage d’éther, de chloroforme mais aussi d’ammoniaque. On propose encore, afin de traiter une luxation, d’appliquer un mélange d’alcool camphré et d’ « extrait de saturne »… qui n’est rien de moins qu’une préparation à base de plomb, ce dernier trouvant plus aisément sa place au sein de la pharmacopée d’autrefois.
Ce document, assez exhaustif, peut donc sembler très ambitieux, en proposant par exemple comme on a pu le voir de remettre en place une fracture, mais il donne tout de même une série de recommandations utiles, parfois essentielles, à appliquer en cas d’urgence. La limite principale à l’efficacité de ce type de conseils est bien sûr la qualité de leur mise en application. Elle dépend essentiellement du niveau de compétences médicales, mais aussi des ressources matérielles dont dispose la personne qui va administrer les premiers soins. À la fin du XIXe siècle, le terme de « secouriste » n’existe pas. Sur les chantiers, il n’y a pas d’ouvriers formés à ces techniques. Le rédacteur de cette note semble en avoir conscience. Dans le cas des brûlures, il rappelle par exemple que « les soins à donner pour les deux derniers degrés ne doivent être abandonnés qu’à des personnes intelligentes et comprenant la nature et la valeur des remèdes employés ». Aussi, en toute fin du document, il prend soin aussi de préciser : « Ces instructions, tout incomplètes qu’elles sont, doivent suffire aux personnes étrangères à la Médecine, et il leur est expressément recommandé de ne pas aller au-delà ».
Cote ADC : archives de la subdivision de Maurs (11 S 10)
Document rédigé par Nicolas LAPARRA
Le « Consompeu » ou économiseur d’essence « Brioude »
Le "Consompeu" (prononcer "Consomme peu") est un économiseur d'essence inventé par Guillaume Brioude dans les années 1920. On ne sait que peu de choses sur cet inventeur sinon qu’il est né à Gourdièges, le 21 août 1887, de Jean Brioude, résidant à Paris, et de Léontine Falachon, demeurant à Jouve, commune de Gourdièges. Nous conservons toutefois une photocopie de sa carte d’identité en date du 28 octobre 1941. Elle nous apprend qu’il réside alors à Paris, où il travaille dans un tout autre domaine, puisqu’il exerce la profession de garçon de bureau. Nous ignorons donc quelles étaient ses connaissances en mécanique : avait-il une formation dans ce domaine ou était-il autodidacte ?
Les archives du Cantal conservent deux brevets pour « perfectionnements aux économiseurs d’essence » déposés par Guillaume Brioude à Bruxelles les 24 juin et 23 octobre 1922. Ils sont accompagnés d’un dessin schématique sur papier et d’une élévation grandeur nature sur calque. Cette dernière porte la mention « Le Consompeu » « breveté S.G.D.G », abréviation de « sans garantie du gouvernement », qui est une mention légale relevant du droit des brevets. Elle dispose que les brevets sont délivrés « sans examen préalable, aux risques et périls des demandeurs, et sans garantie soit de la réalité, de la nouveauté ou du mérite de l’invention, soit de la fidélité ou de l’exactitude de la description ». Elle s’appliquait en France comme en Belgique. La propriété industrielle apparaît en France pendant la Révolution française. Elle est institutionnalisée par les lois des 7 janvier et 25 mai 1791 avec l’apparition du terme « brevets d’invention » et la mise en place d’une administration des brevets sous la forme du Directoire des brevets. L’actuel Institut national de la propriété industrielle (INPI) est l’héritier des institutions qui se sont succédées depuis ces premières lois. Il a pour mission principale de recevoir les dépôts et délivrer les titres de propriété industrielle : brevets, marques, dessins et modèles. Il conserve un fonds de près de 400 000 dossiers originaux, de 1791 jusqu'en 1902. Une loi du 7 avril 1902 impose la publication systématique de tous les textes et planches des brevets. Depuis cette date, les dossiers originaux sont périodiquement détruits au profit de la conservation des publications.
L’objectif du « Consompeu » est, comme son nom l’indique, de réduire la consommation d’essence des moteurs à explosion. Sans entrer dans les détails techniques, le principe du moteur à explosion dit « 4 temps » est relativement simple : le mélange air-essence est fortement comprimé par un piston. Une étincelle fournie par une bougie permet de faire exploser le gaz compressé qui repousse violemment le piston. L'énergie issue de cette combustion est convertie en énergie mécanique (le mouvement vertical des pistons) utilisée pour fournir la puissance moteur au véhicule. Jusqu’au milieu des années 1980, c’est le carburateur qui gère le mélange air-essence aspiré par le moteur. Guillaume Brioude présente son invention comme « un récipient ou pot à l’extrémité d’un tuyau » qui vient se fixer dans le conduit d’aspiration d’air en amont du carburateur. Son principe de fonctionnement est de jouer sur le mélange air-essence, l’économiseur « diminue la consommation d’essence grâce à la soupape réglable et permet de donner un carburant riche en air et de corriger ainsi la carburation ». La soupape, correspondant au point numéro 5 du schéma, permet de réduire ou d’augmenter, en fonction de son ouverture, le volume d’air arrivant à l’entrée du carburateur. Son ouverture est coordonnée à celle du volet du carburateur gérant la quantité d’air présente dans le mélange air-essence. La qualité d'un bon mélange est caractérisée par son homogénéité et sa proportion air-essence communément appelée richesse. Ainsi un mélange homogène peut augmenter les performances d'un moteur, tout simplement parce qu’une combustion rapide va augmenter la pression à l'intérieur du cylindre et par conséquent l'effort appliqué sur le piston. D'autre part si la combustion du mélange est complète, le rendement du moteur sera augmenté, autrement dit la consommation réduite.
Ce système ingénieux devait donc permettre, un peu à la manière d’un « starter », de jouer sur la richesse du mélange en adaptant la quantité d’air au besoin du moteur. Lorsque le moteur tourne à grand régime, la soupape laisse passer un maximum d’air. A l’inverse, au ralenti, elle reste fermée sur son siège pour un mélange plus riche en essence. Enfin, « dans les reprises elle s’approche plus ou moins du couvercle, ne laissant pas ou presque pas rentrer d’air, selon que le moteur tourne à un régime plus ou moins grand ». Les caractéristiques techniques variant notablement d'un type de véhicule à l'autre, Guillaume Brioude prend bien soin de préciser « que la forme et le montage de l’appareil peuvent varier suivant les moteurs et les besoins ». Si en théorie ce système pouvait paraître très intéressant, qu’en était-il en pratique ? A la lecture des deux brevets, on s’aperçoit qu’il a déjà été modifié entretemps. Entre le premier brevet et le schéma annexé au deuxième brevet les points n° 4, 7 et 8 ont disparus. Guillaume Brioude a-t-il voulu améliorer son invention ou ne fonctionnait-elle pas correctement ? A-t-il seulement pu la mettre en œuvre ? Car sans prototype, impossible pour lui de la tester en conditions réelles. Or, compte-tenu de la complexité de fabrication d’une telle pièce, il est peu probable que Guillaume Brioude ait pu mettre au point un tel prototype. Il est en tout cas permis de douter de l’efficacité de son système puisque la postérité n’a pas gardé trace ni de l’invention, ni de l’inventeur. Ces documents nous prouvent que la réduction de la consommation des automobiles n’est pas une préoccupation nouvelle et ne date pas seulement des chocs pétroliers des années 1970. Une recherche dans la base « Espacenet » (Espacenet – résultats de recherche), développée par l'Office européen des brevets (OEB), permet de trouver plus d’une vingtaine de brevets d’économiseur d’essence déposés rien que pour l’année 1922 !
Cote ADC : 1 J 1163
Document rédigé par Nicolas LAPARRA
A la recherche du confort moderne: températures préconisées et ressenties à l'hôpital d'Aurillac (vers 1891)
Entre réchauffement climatique et crise énergétique, la période actuelle est à la sobriété énergétique. Une des mesures emblématiques proposées dans les différents plans de sobriété est la baisse de la température de chauffage de nos intérieurs. Les nombreux débats suscités par cette question et l’importance qui lui a été accordée dans les médias à l’automne dernier montrent bien qu’il s’agit d’un sujet sensible. Quelle est la température idéale permettant d'allier confort thermique et économies d'énergie ? Il s’est peu à peu dégagé un consensus autour d’une température moyenne de 19° C. Trop chaud pour certains, trop froid pour d’autres, elle semble correspondre à la température acceptée de nos jours par le plus grand nombre : toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi.
Le document présenté ce mois-ci, et découvert lors du classement des archives anciennes de l’hôpital d’Aurillac, est un tableau de la température à obtenir dans les différentes pièces de l’asile d’aliénés suite à l’installation d’un système de chauffage central. Ainsi, les températures intérieures prévues en période de froid (température extérieure de - 10° C) varient de 12° à 15° C selon les pièces : 15° C pour l’infirmerie, les bains, les cellules et le logement du gardien mais seulement 12° C pour les bâtiments accueillant des malades. On peut noter que les différents bâtiments sont affectés en fonction de la pathologie des patients qu’ils accueillent : « contagieux », « tranquilles », « agités », « gâteux » ou « épileptiques ». On remarque aussi que la terminologie employée a fortement évolué depuis la fin du XIXe siècle avec les progrès de la psychiatrie.
Longtemps situé dans le quartier des Carmes, l’hôpital déménage en 1892 vers son site actuel de l’avenue de la République. En 1876, la municipalité acquiert les terrains des enclos Combes et Sarret qui serviront pour la construction du nouvel hôpital-hospice entre 1890 et 1893. C’est dans ce contexte qu’est prévue l’installation du chauffage central à l’asile d’aliénés. L’architecte Lucien Magne, en charge des travaux, rédige un rapport sur les divers systèmes proposés pour le chauffage avec l’emploi, au choix, de l’air chaud, de l’eau chaude ou de la vapeur. Bien qu’il n’ait pas sa préférence, mais compte-tenu de la modicité du budget dont il dispose, Lucien Magne opte pour le chauffage par circulation d’eau chaude. Il le présente tout de même comme un progrès en regard du chauffage avec poêles dont il nous dit que « l’usage est presque complétement abandonné aujourd’hui » puisqu’ils ont « l’inconvénient de donner un chauffage inégal » et « sont donc insuffisants pour satisfaire aux nombreuses exigences des établissements hospitaliers ». Pourtant, dès 1893, dans un courrier du 19 janvier, l’autorité militaire se plaint du chauffage des salles et chambres dévolues aux militaires. Une convention entre le département de la Guerre et la commission administrative de l’hospice stipule que la température devra être maintenue à 15° C. Mais le médecin-chef signale qu’en ce mois de janvier, malgré le chauffage, elle ne dépasse pas les 6° C : « Il estime, en outre, qu’il y aurait lieu pour suppléer à l’insuffisance du chauffage, de faire placer immédiatement dans les salles, comme il l’a réclamé à plusieurs reprises, des poêles dont on ferait provisoirement passer le tuyau par le carreau d’une fenêtre » …
Ces températures peuvent nous paraître aujourd’hui, pour le moins très fraîches, voire glaciales, selon le ressenti et les habitudes de chacun. Ces dernières décennies plusieurs historiens se sont intéressés à ces questions et ont étudié l’évolution de notre sensibilité au froid à travers les âges. L’historien Olivier Jandot qui a notamment travaillé sur le XVIIIe siècle rappelle que « quand on lit les témoignages de l'époque […] : on est face à un univers qui est complètement différent du nôtre, aussi bien sur le plan des températures qui régnaient à l'intérieur des habitations, que des sensations durables, du rapport au froid qui était complètement différent ». Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que naît l'idée de température de confort. « On commence à réfléchir à la question du chauffage car on est dans une période de crise énergétique. La rareté croissante du bois à cause des besoins de la marine et de l'industrie naissante fait qu'il devient de plus en plus cher. Une partie de la population n'y a plus accès », ajoute l'historien. Pour la première fois, on réalise des mesures de températures et les médecins considèrent qu'une température de 12° C à 15° C chez soi est tout à fait acceptable.
Ce n'est qu'à partir du XXe siècle que la valeur des températures préconisées augmente. Le seuil des 19° C se fixe autour des années 1970, jusqu'à monter progressivement à 20°C. Renan Viguié, autre historien, a établi une courbe des températures préconisées pour le chauffage de la pièce principale des habitations au XXe siècle. S’appuyant sur diverses sources, de la littérature technique et éducative, de la documentation juridique mais aussi publicitaire, il a mis en évidence que la température idéale est en réalité une construction sociale et culturelle, répondant à des « considérations qui peuvent être techniques, mais aussi morales, médicales, sociales, environnementales ou économiques ».
En France, ce sont les chocs pétroliers des années 1970, et les politiques de réduction de la consommation d’énergie, qui ont conduit à un processus de normalisation des températures intérieures. Au vu des dernières recommandations gouvernementales, il semble que nous l’ayons oublié, mais dès 1974 la loi fixe une température maximum autorisée dans les logements de 20° C, puis 19° C en 1979. La diffusion de cette norme par le haut ne doit pas occulter l’influence des consommateurs, de leurs pratiques et de leurs habitudes quotidiennes. Ces débats sur la nécessité d’une sobriété énergétique auraient pu aboutir à un retour aux normes de confort de la première moitié du XXe siècle avec une température de 15-16° C. La température couramment admise aujourd’hui, autour des 19° C, est donc le fruit d’un compromis entre cette volonté de sobriété et les pratiques sociales qui font qu’on imagine mal aujourd’hui un retour aux normes du début du XXe siècle, pourtant bien plus économes et moins polluantes.
Sources : « Une courbe pour bien se chauffer. Les températures de chauffage préconisées au XXe siècle » par Renan Viguié, dans Flux, 2020, n° 121, pages 102 à 107 ; Les délices du feu. L’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne par Olivier Jandot. – Edition Champ Vallon, 2017, 352 pages.
Note rédigée par Nicolas LAPARRA
D'une guerre à l'autre : quatre générations d'hommes sous les drapeaux
Si les archives personnelles liées aux deux guerres mondiales, abondamment collectées et valorisées depuis plusieurs années, sont désormais légion dans les services d’archives, rares sont celles qui permettent de mesurer l’impact qu’a pu avoir la rapide succession des conflits entre 1870 et 1962, sur les familles françaises. Le fonds Georges Tourlan a ainsi pour particularité d’être composé de divers documents (livrets militaires, correspondance, photographie, diplômes, etc) relatifs à quatre générations d’hommes, chacune d’entre elles ayant servi la France au cours d’un conflit armé.
Tout d’abord, Jean Bac, arrière-grand-père maternel du donateur, est cultivateur à Péruéjouls, commune de Marmanhac. Son livret militaire indique son incorporation à la Garde mobile d’août 1870 à mars 1871. La Garde nationale mobile, créée par la loi du 4 février 1869, est constituée de tous les jeunes hommes qui ont tiré « un bon numéro » lors du recrutement et qui n’ont pas à faire leur service actif ; ils peuvent en revanche être mobilisés en cas de guerre. Aussi, suite aux premières défaites lors de la Guerre franco-allemande, l’armée fait appel à cette réserve pour renforcer les troupes. La Garde mobile participe entre autres au siège de Paris avant d’être dissoute le 25 avril 1871.
Marié le 7 avril 1870 à Pauline Lapié, Jean a trois filles dont Jeanne, mariée à Géraud Lacarrière, grand-père maternel de Georges.
Géraud est, malgré la naissance de 5 enfants, mobilisé le 4 août 1914 pour partir au Front. Quelques cartes écrites à son épouse, ainsi que son livret militaire indiquent qu’il ne sait ni lire, ni écrire : il est très probable que ce dernier ait fait appel à la plume d’un camarade, lui-même peu lettré, pour rédiger ses missives. Toutefois, un certificat accordé par le maire de Marmanhac en août 1917, lui permet d’être détaché aux travaux agricoles. En effet, en dépit de la bonne volonté des femmes pour s’occuper des champs, en effectuant notamment les récoltes et les battages, le recours à la main d’œuvre militaire est obligatoire pour permettre aussi bien l’alimentation des troupes que des civils. Géraud est donc mis en sursis agricole le 22 décembre 1917.
Autre combattant ayant participé à la Première Guerre mondiale, Jacques Tourlan, grand-père paternel du donateur. Parti au Front le 10 août 1914, sa fiche matricule indique qu’il est blessé une première fois le 29 août à Rambervilliers (Vosges) par une « balle au pied droit ». Il retourne au combat le 14 octobre 1914 avant d’être blessé à nouveau au mollet gauche en mars 1916, au bois des Corbeaux lors de la bataille de Verdun. Il est ensuite ajourné et de nouveau hospitalisé pour « angine et oreillons ». À la fin de la guerre, il se voit affecté à la Compagnie des chemins de fer d’Orléans, tout d’abord en qualité d’homme d’équipe puis comme conducteur. Il reçoit la médaille militaire par décret le 28 février 1936. Marié le 22 juin 1912 à Jeanne Paucot, il a trois fils dont Durand, père de Georges.
Serrurier de profession, Durand est mobilisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Il est fait prisonnier à Autun (Saône et Loire) le 16 juin 1940. Interné sous le numéro 92036 au stalag XVII A, en Autriche, il correspond avec son épouse, Antoinette Lacarrière, de façon régulière durant toute sa captivité. Ainsi, il raconte ses différentes tentatives d’évasions, en août et octobre 1942 : « j’ai abandonné pour blessure au talon je ne pouvai plus marcher pourtant jen été pas bien loin du but j’été à 30 km de la Suisse enfin la chance n’a pas voulu de moi » [sic]. Suite à ces essais d’évasions et aux actes de sabotage qu’il commet sur les chantiers de travail, il est transféré au stalag 325 de Rawa Ruska (Ukraine), camp de représailles et de punitions. Il y reste jusqu’en juillet 1943 date à laquelle il est transféré dans un nouveau camp en Allemagne. Il tente une nouvelle fois de s’évader, en juin 1944 : « Je suis parti un mercredi avec deux copains pour l’aventure pendant la traversée de Frankfurt à Metz tout a bien marché pas d’anicroche rien, nous étions trop confiant car a 200 mètres de la frontière il nous arrivent par derrière un douanier révolver au poing qui nous arrêtés nous n’avont pas fait de bruit ni de menace aussi nous avons été bien traité » [sic]. Il est finalement rapatrié le 21 avril 1945 et retrouve son épouse et ses deux enfants : Jacqueline et Georges. Plusieurs documents attestant de son engagement lui sont par la suite délivrés : carte du combattant, carte de combattant volontaire de la résistance, carte d’interné déporté.
Georges, le donateur du fonds, est pour sa part appelé en Algérie. En effet, de 1954 à 1962, un nombre important d’appelés du contingent participe à cette guerre. Georges arrive en Algérie en novembre 1959 et se trouve affecté à la poste aux armées dans différentes localités : Béni- Messous, Souk Ahras, Bône. Il entretient avec sa mère une correspondance très régulière et y raconte différents aspects de sa vie quotidienne : le temps, la nourriture, son travail, sa santé, ses rencontres avec différents camarades cantaliens mais aussi l’atmosphère et les tensions qui existent. Ainsi le 26 mai 1960, il écrit « comme la semaine d’avant des jours-ci cela va mal sur la frontière mais cette fois-ci c’est plus loin car on entend à peine les canons…ce matin j’ai croisé les renforts de la Légion » [sic]. Le 13 décembre, il raconte les importantes manifestations qui ont eu lieu : « ce sont un groupe de manifestants européens et un groupe musulman qui allaient à la rencontre l’un de l’autre. Ils allaient se rencontrer sur une place où se trouvaient les légionnaires. Ces derniers ont tiré en l’air. C’est alors que des européens se sont affolés et se sont précipités vers un camion de la Légion pour s’y abriter. Ce véhicule était gardé par d’autres légionnaires qui voyant des manifestants si prochent et les croyant animé de mauvaises intentions leur ont tiré dessus » [sic]. Un mois avant son départ, le 16 décembre 1961, il raconte « la nuit nous entendons de nombreux coups de feu. A Bône, cela devient infernal » [sic]. Enfin, le 3 janvier 1962, il écrit : « Ces temps ci cela va assez mal en Algérie un peu partout mais je pense que cela n’ira pas loin je crois que c’est la fin » [sic]. Il revient en métropole en janvier 1962.
Entrées aux Archives du Cantal par voie de don en août 2022, ces pièces témoignent ainsi de manière très personnelle du vécu de combattants mêlés, bien souvent malgré eux, aux conflits de leurs siècles respectifs et dont la somme des histoires individuelles permet d’enrichir l’écriture de la « Grande » Histoire.
Cote ADC : 116 J 1 à 32 ; 1 R 1489 ; 1 R 1607 n°1461 ; 1 R 1681 n°2041 ; 1 R 1824 n°70 et 2258 W 13 n°30455.
Note rédigée par Laure BARBET