Un règlement de comptes à Giou ?
Les prêtres se hâtent de rapporter le corps, mais ne parviennent à l’identifier. Une enquête est menée pour trouver des témoins qui connaîtraient la victime ou du moins l’auraient aperçue avant sa mort… en vain. Personne ne sait. Le corps a beau être exposé en vue « de tous allants et vivants » pendant trois jours, aucune réponse ne parvient aux officiers chargés d’investiguer.
La frustration est palpable dans l’acte de sépulture rédigé par le curé de Giou, messire Delpé. Alors qu’habituellement ces actes n’indiquent pas la cause de la mort, de nombreux détails sont apportés ici sur le déroulement des événements et une description très précise du mort est donnée. Le corps ne peut être conservé plus longtemps, mais si un jour quelqu’un signale la disparition d’un proche, il sera possible de lui fournir une « photographie » de l’inconnu. Celui-ci paraît « estre aagé d’environ vingt huict ou trante ans, le visage long, les yeux un peu enfoncés, cheveux noirs et assés clairs ».
Sans témoin, difficile de déterminer les raisons pour lesquelles on l’a assassiné ; le curé ne s’y risque d’ailleurs pas. Les blessures proviennent d’armes à feu, nous indique messire Delpé. Si les pistolets, mousquets et arquebuses existent bel et bien à l’époque, ils sont plutôt l’apanage des riches, nobles et bourgeois. Posséder des armes n’est pas un privilège accordé par le roi, il suffit d’avoir les moyens d’en acquérir. Notre inconnu se serait-il attiré la colère d’un puissant ? En quelle occasion ? Le fait que personne ne le reconnaisse, sachant que la nouvelle a dû circuler à Aurillac et dans les villages voisins, semble suggérer que l’homme n’était pas originaire des alentours. D’ailleurs son accoutrement peut laisser des doutes : il possède « un pourpoin de toille de la Limanhe d’Auvergne » ainsi qu’un sabot « faict à la mode de la Limanhe », en Basse-Auvergne donc. Toutefois l’indice est faible puisque cet individu semble habillé de guenilles peut-être trouvées ici et là. Le deuxième sabot est quant à lui « du pays », et du même pied que le premier.
Profitons-en pour souligner que ces actes décrivant des morts inconnus sont une précieuse source pour les historiens qui s’intéresseraient aux vêtements des pauvres, puisque l’on a rarement l’occasion de les décrire autrement. Les inventaires après décès ne sont effectués que lorsque l’héritage en vaut la peine et listent les habits présents dans les coffres sans que l’on sache s’ils sont portés simultanément ou non.
En tout cas, ses « meschants » habits, sa petite corde en guise de ceinture, son « chapeau noir uzé » et ses sabots dépareillés permettent d’exclure la thèse des voleurs : cet homme ne portait rien qui soit digne d’être dérobé. En revanche, l’une des hypothèses que nous pouvons émettre est qu’il aurait lui-même endossé le rôle de voleur, peut-être simplement pour se nourrir, et qu’il n’a pas rencontré l’indulgence qu’il pouvait espérer chez sa victime, qui l’aura poursuivi pour faire justice elle-même…
Ceci bien sûr n’est qu’une hypothèse. Nous n’en saurons jamais plus que le curé Delpé qui a signé cet acte avec le sentiment d’avoir fait ce qu’il pouvait pour cet inconnu : une cérémonie respectueuse pour son enterrement et un signalement détaillé de sa personne qui traversera les siècles.