En 1801, plusieurs groupes refusèrent le Concordat conclu entre le pape et Bonaparte. Ils formèrent un schisme, qui perdure en Poitou (Deux-Sèvres) sous le nom de Petite Église. Dans le nord de l’Aveyron et le sud du Cantal, le schisme cessa voici un siècle. En 1911, en effet, les Malbert, habitants du hameau de la Bécarie à Cassaniouze, rejoignirent le giron de l’Église catholique. Cent ans plus tard, une journée culturelle (et cultuelle), suivie par plus de 200 personnes, commémora ce petit événement. Une plaquette a été publiée en décembre 2011 par l’association « Les Gens du Veinazès », intitulée Une étrange histoire de fidélité : les Enfarinés de Cassaniouze (1801-1911).
Mais il reste des souvenirs étonnants de cette étrange histoire. Une niche du rez-de-chaussée du clocher restauré de l’église paroissiale de Cassaniouze contient une boîte dont M. Jean Teulières nous a soumis le contenu. Il s’agit d’un reliquaire de fortune, conservé par les Enfarinés à la Bécarie jusqu’à la vente de la maison par leur dernière descendante ; à ce moment, elle confia à la commune ces émouvants souvenirs. Cet ensemble de six reliques, enfermées dans de petits papiers pliés et scellés d’un cachet où l’on distingue les lettres « A » et « B » accolées dans un écu, conservées à Sénepjac avant la Révolution, et portant chacune leur identification en latin (sauf une en français) : Fleuret, évêque et confesseur ; Crescence, martyr ; Gervais martyr ; Albert ; Hilarion ; Grat, martyr. Ces sortes de petits reliquaires ont été constituées au XVIIe siècle, comme l’atteste aussi l’écriture de deux autres documents : une liste de reliques, établie deux fois sur le même papier et comportant le nom de neuf saints (parmi lesquels figurent les cinq dont les reliquaires sont parvenus jusqu’à nous) : Germain, Narmasius (?), Grat, Albert, Hilarion, Fleuret, Gervais, Crescence et Madeleine (« Reliquiae sanctorum Germani, Narmasii, Grati, Alberti, Hilarionis, Floregii, Gervasii, Crescentii, Magdalenae ») ; une authentique de reliques de 1671 portant au recto « L’approbation des saintes reliques qui sont icy » et, au verso, la provenance des reliques des saints Crescence, Gervais, Grat et Fleuret :
Nous vicaire général d’illustrissime et révérendissime père dans le Christ Gabriel de Voyer de Paulmy, évêque et seigneur de Rodez, nous faisons foi que nous avons donné les reliques de saint Crescence martyr par nous vérifiées sur l’ordre dudit seigneur évêque, de saint Gervais martyr vérifiées par le susdit illustrissime évêque dans l’église de Bonnecombe, de saint Grat martyr à nous données par le recteur de l’église saint Grat au cours de la visite, et de saint Fleuret évêque et confesseur que nous avons reçues dans la translation desdites reliques dans l’église d’Estaing. À Rodez le 2 mai 1671. Thomas Regnoust, vicaire général. | Nos vicarius generalis Illustrissimi ac Reverendissimi in Christo patris Domini Gabrielis de Voyer de Paulmy, episcopi et domini Ruthenensis, fidem facimus dedisse nos reliquias sancti Crescentii martyris a nobis jussu eiusdem domini verificatas, sancti Gervasii martyris ab eodem Illustrissimo episcopo verificatas in ecclesia monasterii Bonae Combae, sancti Grati martyris nobis datas a rectore ecclesie eiusdem nominis in decursu visitationis, et sancti Floregii episcopi et confessoris quae accepimus in translatione dictarum reliquiarum in ecclesia de Stanno. Ruth. 2a maii 1671. Thomas Regnoust, vicarius generalis. |
Le vicaire général de Mgr Gabriel Voyer de Paulmy, évêque de Rodez (1667-1684) reconnaît et authentifie, en même temps qu’il les donne, les reliques de quatre saints. Ces reliques et ces authentiques du XVIIe siècle étaient renfermées dans une enveloppe fabriquée à partir d’une gravure aquarellée du XVIIIe siècle représentant une pensée (« Viola lutea grandissima »), sur laquelle est portée l’inscription « Reliques provenant de Sénepjac » (« Reliquiae a Senepjaco »). Un petit billet autographe de l’abbé Delhom, l’un des « pontifes » de la Petite Église (qui demeurait habituellement au Taulan, commune de Mouret) accompagne et explicite cet ensemble de documents :
Moi, soussigné, je fais savoir à tous ceux auxquels cela importe que les reliques ici présentes proviennent de l’église paroissiale Saint-Germain de Sénepjac, diocèse de Rodez ; qu’elles ont été libérées de la déprédation et de la profanation et qu’elles avaient été exposées à la vénération des fidèles avant la persécution philosophique. En foi de quoi : fait et consigné le 6 janvier 1795. [signature manquante], vicaire de Sénepjac, le pasteur étant défunt, la persécution faisant rage. | Ego infrascriptus notum facio omnibus quorum interest hic jacentes esse reliquias ecclesiae parrochialis Sancti Germani a Senepjaco diocesis Ruthenensis a depredatione et profanatione liberatas, easque venerationi fidelium, ante persecutionem philosophicam exposite fuerant. In cujus fidem : actum et consignatum die 6a januarii 1795 [signature manquante] vicarius Senepjacensis defuncto pastore, vigente persecutione. |
Le jour de Pâques, 11 avril 1819, l’abbé Delhom pratique un exorcisme public sur une jeune fille possédée. On peut imaginer qu’il utilisa, au cours du rituel, les reliques ici authentiquées.
Bon prédicateur, bon musicien, il avait un enthousiasme communicatif dans la célébration, mais semble avoir eut également un goût baroque pour la controverse et les cérémonies spectaculaires.
Ces reliques des saints, authentiquées au XVIIe siècle, sont aussi devenues les reliques des Enfarinés de Cassaniouze, des traces inattendues de ces fidèles à la foi obstinée et touchante.
Collection Commune de Cassaniouze (église paroissiale Notre-Dame-de-la-Purification)
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