Enfants naturels et reconnaissances de paternité sous l’Ancien Régime
Deux exemples du XVIIIe siècle
Les minutes notariales renferment toutes sortes d’actes en lien avec l’histoire et parfois même l’intimité des familles. Elles sont une source de première importance pour l’Histoire sociale et plus particulièrement pour l’Histoire de la famille. Il n’est pas rare d’y trouver des accords et autres types d’acte relatifs aux filiations et plus particulièrement aux enfants naturels. Ces documents du XVIIIe siècle en attestent.
Il s’agit de transaction, le plus souvent après procédures, entre une fille-mère ou une fille enceinte, d’une part et celui qu’elle accuse de paternité, lequel ne veut ou ne peut l’épouser. Ces accords portent parfois le nom de « quittance de défloration ». En effet, souvent, la plaignante prétendait avoir été déflorée sous promesse de mariage. Le droit d’Ancien Régime prévoyait l’action en recherche de paternité, sur la foi de la déclaration de la mère de l’enfant au cours de l’accouchement. Un édit de Henri II, en 1556, portait que toute fille ou veuve qui deviendrait enceinte et qui ne ferait pas de déclaration de grossesse, serait réputée « enfanticide » et punie de mort si son enfant ne naissait pas vivant. Obligée de révéler ainsi sa grossesse, souvent la mère indiquait en même temps le nom du père. Lorsque dans les douleurs de l’accouchement la mère attestait sous la foi du serment que tel homme était le père de l’enfant qu’elle mettait au monde, sa déclaration était considérée comme une preuve irréfutable. « La vérité semblait sortir magiquement du corps convulsé des femmes dans les douleurs de l’accouchement, tout comme elle sortait du corps torturé des accusés » . La législation était basée sur le principe selon lequel « qui fait l’enfant doit le nourrir ».
Dans un premier exemple, le 31 octobre 1738, devant Me Saurou, notaire royal à Thiézac, Jeanne Bassal, habitante du village du Pouget, paroisse de Thiézac, « de son bon gré et bonne volonté a déclaré avoir reçu […] de Bonnet Delbex […] berger vacher demeurant de présent à l’hameau de La Bartassière en ladite paroisse présent et acceptant la somme de trente livres […] pour le déflourement d’ycelle survenu de l’effet du dudit Delbex ». Cette somme peut être considérée comme une constitution de dot à la jeune fille pour lui permettre de trouver un mari. Mais ce n’est pas la seule obligation auquel est contraint le père. De ses œuvres est née une petite fille, et le dit Delbex « a promis et s’est obligé de la nourrir et entretenir jusqu’à ce que ladite femelle sera en estat de pouvoir gagner sa vie et ce moyennant la somme de quatre-vingt-dix livres ».
Le second exemple est un peu différent, le 8 février 1748, devant maîtres Establie et Delarmandie, notaires royaux à Aurillac, Guy Grimal, laboureur habitant du village de Ferrières, paroisse de Saint-Etienne-de-Maurs, « pour la décharge de sa conscience, et voulant réparer l’injustice qu’il a faite contre sa propre connaissance à Jean Grimal son fils provenu de ses œuvres avec Toinette Douvez, l’un et l’autre libres lors de la conception dudit enfant, en le laissant baptiser sous le nom de Jean Mets fils de Toinette Mets, et d’un père inconnu, ainsy qu’il apert de son extrait baptistaire du vingtième janvier mil sept cent trente sept signé l’official curé de Saint-Martin de Figeac, dans le temps qu’il ne pouvait ignorer la fréquentation, et commerce qu’il avait eu avec ladite Douvez, que ledit Grimal épousa en face de l’église […] De gré ledit Grimal a déclaré et déclare par les présentes qu’il reconnait ledit Jean Mets pour Jean Grimal son fils, et de ladite Douvez, quoyque baptisé sous des noms en l’air, et dissimulés, et dans une paroisse étrangère afin d’en éluder la connaissance aux parents de ladite Douvez ». On ne connaitra jamais les véritables raisons du choix de Guy Grimal : désire de libérer sa conscience et de réparer ses torts, comme tant à nous le présenter ce document, ou obligation juridique de faire face à ses responsabilités ? Quoiqu’il en soit, il ne se contente pas de reconnaître sa paternité et de réparer financièrement ses torts mais il accepte véritablement l’enfant comme étant le sien en lui donnant son nom. Jean Grimal passe ainsi du statut, peu enviable sous l’Ancien Régime, d’enfant naturel à celui d’enfant légitime, avec toutes les conséquences morales et juridiques que cela implique. Libre à chacun de se faire sa propre idée sur les agissements de ce cantalien du XVIIIe siècle, mais on peut au moins lui accorder le bénéfice du doute et considérer qu’il semble assumer, même avec retard, ses responsabilités.
Document rédigé par Nicolas Laparra
Cote ADC : : 104 J 85 et 104 J 182
Cote Archives départementales du Lot : EDT 102 GG 36