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Le drôle de journal d'un cantonnier:

le "livre de raison" d'Alexandre Dages (1906-1945)

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« Mes chers parents. Je ne puis pas laisser passer le commencement de la nouvelle année sans vous témoigner le respect et la reconnaissance que je vous dois. Je viens donc vous souhaiter une bonne et heureuse année, et une parfaite santé à tous ». Ces quelques mots de saison ont été rédigés le 6 décembre 1907 par Alexandre Dages, cantonnier à Saint-Urcize. Ils sont repris d’un modèle de « lettre de bonne année » extrait d’un « livre de raison » acquis dernièrement par les Archives du Cantal. Un livre de raison est en principe défini comme un registre de comptabilité domestique où peuvent être reportées d’autres informations, souvent de nature familiale ou locale. Cependant, par extension, ce terme désigne aussi bien les livres de comptes, les journaux et mémoires que les divers livres. Ce modèle de lettre de vœux est un exemple de ce que l’on peut trouver dans ce petit registre, sorte d’aide-mémoire un peu fourre-tout, où des informations en tout genre sont notées selon une logique propre à son rédacteur.

Des pages 58 à 101, Alexandre Dages a ainsi recopié différents modèles de lettres, documents ou contrats utiles à la vie quotidienne : « police entre un propriétaire et un ouvrier », « certificat du maitre envers son domestique », « testament », « bail à maison », « quittance », « lettre de change »… On y trouve aussi des lettres au caractère plus intime comme cette timide « lettre de déclaration d’amour » : « Mademoiselle. J’ai combattu longtemps la plus honorable et la plus respectueuse passion qui jamais est rempli le cœur d’un homme. Souvent j’ai voulu vous la déclarer de vive voix, plus souvent encore j’ai tenté de vous écrire. Mais je n’ai jamais pu trouver assez de courage pour accomplir mon dessein [sic] ». Suivie de près par une lettre bien plus assurée « d’un militaire à sa maîtresse » : « Nous avons parcouru beaucoup de pays mais je n’ai rien encore vu de si beau que toi, ce n’est pas à dire qu’il n’y ait partout des beautés, et j’en ai vu plus d’une qui put me séduire, si je n’avais pas eu le cœur plein de ton image ». Viennent ensuite des modèles de lettres d’amitié, de bonne année ou encore de condoléances.

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Dans un tout autre genre, les premières pages de ce registre contiennent une importante collection de chansons populaires. Entre décembre 1906 et décembre 1908, notre cantonnier a ainsi recopié les paroles de 57 chansons, tout en les accompagnant, pour chacune d’entre elles, d’illustrations parfois grivoises, le plus souvent humoristiques, et non dénuées d’un certain talent. En ce sens, ce document est un véritable témoignage de cette culture populaire du début du XXe siècle et peut être utile à l’histoire de la chanson française de la Belle-Epoque. Le répertoire d'alors est essentiellement composé de chansons à thème sentimental, mélodramatique, léger ou de comique troupier ainsi que de chansons grivoises. On peut citer entre autres : « Les cochers de Paris », « Le bonheur des époux », « La fianché du matelot », « Ma fanchette », « Tu m’as trompée », « La noce des nez ». Certaines reflètent aussi l’air du temps comme les chansons patriotiques - « Les rubans de l’Alsacienne » ou « L’orpheline Alsacienne » -, ou anticléricales telles que « La séparation » qui traite de la séparation des églises et de l’Etat avec pour refrain « Des cabotins la France est délivrée, les temps sont venus, le jésuite est vaincu, les cléricaux ont l’âme navrée, l’Eglise a vécu, car des curés il n’en faut plus ». Alexandre Dages reprend ce travail de collecte un peu plus tard puisqu’on retrouve plus loin dans le registre, des pages 137 à 208, plus d’une soixantaine de nouvelles chansons recopiées entre octobre 1909 et décembre 1919.

En plus de ces deux grandes typologies de documents, on trouve aussi des informations à caractère familial et généalogique, plus coutumières des livres de raison : histoire de la famille Calmels, sa famille maternelle originaire de Laguiole (Aveyron), renseignements sur les naissances, mariages et décès des membres de la famille, liste des soldats de la famille « Morts pour la France ». A cela s’ajoute une quinzaine de pages intitulées « Souvenir et anecdotes de la Guerre 1914-1918 ». De la classe 1893, Alexandre Dages est mobilisé le 20 août 1914. Il quitte Saint-Urcize pour la caserne d’Aurillac le 29 septembre, semble-t-il sans véritable inquiétude, se disant « sa ne va pas être long avec que les armes quon a aujourd’hui on va prêté renfort a nos camarades et dan quelque moi on et de retour [sic] ». Père de quatre enfants, dans un premier temps, il n’est pas envoyé au front et reste à Aurillac jusqu’en septembre 1915, en charge, notamment, de la garde des prisonniers allemands. Ce n’est que le 12 septembre qu’il quitte Aurillac pour les tranchées du Pas-de-Calais. Le récit du cantonnier est certes un peu décousu et traite surtout de sa première année à Aurillac et de ses premiers jours sur le front. Il reste tout de même un témoignage original pour à qui s’intéresserait aux conditions de vie et à l’état d’esprit de ces jeunes hommes mobilisés dans les casernes aurillacoises, en attente d’un départ pour le front. 

Enfin, ce registre lui sert aussi à noter toutes sortes de renseignements utiles : carnet d’adresses, mesures de chevalement pour la construction de bâtiments, calcul du métrage d’un tombereau, renseignements sur l’achat et la vente de cochons, listes des ouvrages et outils qu’il possède…



Cotes ADC : Archives en cours de classement.
Document rédigé par Nicolas Laparra



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