La flamme olympique à l'épreuve de la neige cantalienne (1968)
La flamme des jeux olympiques de Paris 2024 a été allumée le 16 avril dernier sur le site historique d’Olympie. Elle débutera son parcours en France, le 8 mai prochain à Marseille, avant d’atteindre Paris le 26 juillet pour l’embrasement de la vasque au Jardin des Tuileries. Ce symbole olympique peut paraitre hérité des jeux antiques mais il n’en est rien. C’est un cérémonial propre aux jeux olympiques modernes instauré par les nazis lors des jeux de Berlin en 1936. La flamme olympique, qui n’existait pas lors des jeux antiques, apparaît pour la première fois lors des jeux d’été d’Amsterdam en 1928. Le Troisième Reich, prompte à utiliser l’Antiquité grecque à des fins de propagande, codifie ce rituel qui veut que cette flamme soit allumée avec une torche, enflammée elle-même au moyen d’un miroir parabolique par le soleil d’Olympie, berceau des anciens jeux, puis portée, de relais en relais, jusqu’au stade où elle doit arriver à l’instant propice, au cours de la cérémonie d’ouverture.
Pour les jeux olympiques d’hiver, le premier relais de la flamme est organisé lors des jeux d’Oslo 1952. En 1968, à l’occasion des jeux de Grenoble, le comité d’organisation décide de donner à ce relais « l’ampleur des manifestations organisées pour les jeux d’Eté. Pour la première fois […], malgré la rigueur des conditions atmosphériques hivernales, la flamme effectuera un très long périple, alternativement sur routes et à travers la montagne »[1]. Comme de coutume, la flamme est allumée le 17 décembre 1967 à Olympie, puis elle est transférée à Athènes où elle est solennellement remise par le Comité Olympique Hellénique aux représentants du Comité d’Organisation. Embarquée le mardi 19 décembre à 13 h 30, à bord d’un avion Air France, elle arrive à Orly à 15 h 35, avant d’entreprendre, le lendemain, un périple de 7222 kilomètres, comportant 50 étapes, passant par la plupart des grandes villes françaises et traversant l’ensemble des massifs montagneux : Vosges, le Jura, le Massif Central, les Pyrénées, la Corse et les Alpes. Le parcours de la flamme est « une occasion unique […] de favoriser la promotion des stations françaises de tourisme hivernal ainsi que des sports de neige et de glace »[2].
C’est ainsi que le 2 janvier 1968, le convoi entre dans le Cantal venant d’Egliseneuve-d’Entraigues (Puy-de-Dôme) peu après 13 h 30 et prend la direction de Saint-Flour où la flamme doit arriver à 14 h 30 via Condat, Marcenat, Allanche, Neussargues et Talizat. Cette première étape est dite « neutralisée » parce qu’effectuée à l’aide de véhicules. Comme requis par le Comité d’organisation, la flamme doit être transportée dans une voiture découverte en présence d’un athlète en tenue sportive, accompagnateur de la flamme, se tenant debout. La vitesse de la caravane ne doit pas dépasser les 30 km/h. C’était, hélas, sans compter sur les caprices de la météo cantalienne car comme le relate la presse : « la flamme fut transportée dans une « Jeep » de la gendarmerie, non débâchée en raison des intempéries »[3]. La neige a aussi raison du minutage très précis du programme puisque le convoi a déjà deux heures de retard à son arrivée à Saint-Flour. Après une courte cérémonie Sanfloraine, la caravane reprend la route en direction de Murat où malgré le retard elle suit le programme prévu. La traversée de Murat dure 15 minutes : prise en charge de la flamme au Pont de Notre-Dame par les membres de l’Union Sportive Murataise pour un premier relais de 400 mètres par un porteur escorté de 6 jeunes, deuxième relais dans les mêmes conditions 3 minutes plus tard au carrefour du faubourg Notre-Dame, arrivée place de l’Hôtel de Ville pour une réception de 5 minutes par le maire, prise en charge de la flamme par Murat Ski pour deux relais de 400 et 500 mètres jusqu’à la sortie de la ville en direction du Lioran. Au Lioran, la tempête de neige oblige les personnalités à écourter la cérémonie programmée. Après avoir été portée jusqu’à la prairie des Sagnes par des skieurs et présentée à la foule, la flamme quitte le Lioran à 18 h, heure à laquelle elle devait arriver à Aurillac, où elle ne parvient finalement qu’à 19 h 15.
Malgré le retard, le froid et la neige, comme en témoignent les coupures et photographies de presse, plusieurs milliers d’Aurillacois sont encore présents autour du Square pour accueillir la flamme olympique. Ils assistent à l’arrivée des deux derniers relayeurs, l’Aurillacois Jean Malroux, en tenue de skieur, et la Sanfloraine, Simone Grimal (ex Simone Henry) revêtue de son survêtement de l’équipe de France d’athlétisme dont elle fut membre aux jeux de Melbourne 1956. Les deux champions terminent ainsi leur course au sommet du grand escalier du palais de justice où se trouve la vasque à laquelle Jean Malroux met le feu. En 1968, la flamme olympique est encore très empreinte de symbolisme et son passage, plus qu’une fête, se veut un évènement protocolaire marqué de solennité. Le Comité d’organisation rappel que « la Flamme représentant un idéal de pureté et de continuité dans l’effort et la tradition sportive, il importe que toutes les manifestations envisagées à l’occasion de son passage et de ses arrêts revêtent un maximum de dignité, leur note dominante les apparentant bien davantage à des cérémonies qu’à des kermesses. Le protocole prescrit d’ailleurs que l’on applaudit pas la Flamme, mais qu’on l’honore d’un fervent et respectueux intérêt »[4]. La vasque, sur une tribune pavoisée et ornée des anneaux olympiques, brûle toute la nuit sous la garde des membres de différents clubs de sport Aurillacois : Aéro Club, Para Club, Stade Aurillacois, Géraldienne, Ski Club, Cantalienne, Sporting et Union Cycliste Aurillacoise. Elle repart le lendemain en direction du Stade Jean Alric où après un tour de piste, elle est remise par le maire d’Aurillac à la voiture qui doit l’emmener en Corrèze.
Document rédigé par Nicolas Laparra
[1] Comité d’organisation des Xe jeux olympiques d’hiver 1968 Grenoble, conférence de presse du 9 octobre 1967 (cote ADC : 3 SC 8889).
[2] Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Cantal, 21 juillet 1967 (cote ADC : 3 SC 8889).
[3] La Montagne du 5 janvier 1968.
[4] Comité d’organisation des Xe jeux olympiques d’hiver 1968 Grenoble, Instructions à MM. les inspecteurs départementaux de la Jeunesse et des Sports (cote ADC : 3 SC 8889).
"L'agriculture en images"
par Elie Clermont (vers 1900)
Le document présenté en ce mois d’avril est un manuel scolaire de la fin du XIXe siècle dédié à l’enseignement agricole. Véritable encyclopédie illustrée de l’agriculture, cet « Album agricole » est extrait du fonds Elie Clermont conservé par les Archives départementales depuis 2016. Elie Clermont (1860-1940), appartient à une dynastie d’instituteurs ayant exercés en Châtaigneraie cantalienne deux siècles durant. Petit-fils, fils, neveu, cousin et frère d'instituteurs, il entre à son tour à l'école normale d'Aurillac en 1877. Pourvu du brevet élémentaire en 1880, il est adjoint à l'école de la rue de la Coste à Aurillac de 1880 à 1883, et débute en tant que titulaire en 1883 à l'école publique de garçons de Labesserette. Il enseigne ensuite à Cassaniouze de 1900 à 1905, avant de terminer sa carrière en tant que directeur de l'école de Marcolès. Il prend sa retraite en 1923.
Il débute sa carrière dans un contexte fortement marqué par l’essor de l’éducation populaire auquel il prend part en adhérant à la Société Nationale des Conférences Populaires. A cet égard, ses archives témoignent de l'importance qu’il accorde à l'enseignement agricole, basé sur des cours théoriques mais également sur des expériences pratiques. Outre cet album, on y trouve une importante documentation en lien avec cet enseignement dont une fiche de présentation titrée « But et caractère de mon Enseignement agricole ». Il écrit dans cette dernière : « La préoccupation que j’ai eue, depuis plusieurs années de donner à l’agriculture une place privilégiée dans mon enseignement est justifiée par deux considérations1 ». Il a observé, dit-il, « que dans une commune reculée où n’existent ni commerces, ni industries, où les habitants n’ont d’autres ressources que les produits de la terre, il est de toute nécessité de préparer de bonne heure nos jeunes ruraux à leur rôle futur d’agriculteur et de les détourner par cela même des velléités d’aventure et d’émigration auxquelles ils ne sont que trop enclins dans notre Auvergne ». D’autre part, il s’est promis de lutter « contre l’esprit de routine auquel nos paysans demeurent assujettis » par un enseignement agricole « absolument rationnel et pratique de manière à répondre aux directions pédagogiques qu’ils veulent concret et expérimental ». Pour se faire, il cherche à promouvoir les améliorations agricoles par l’entremise de conférences mais aussi de cultures et expériences comparatives. Et s’il note « une certaine bonne volonté chez quelques agriculteurs », il n’en est pas moins conscient qu’il est difficile de lutter « contre tout ce qui contrarie leurs habitudes et leurs préjugés ». La formation agricole de ces élèves, futurs paysans pour la plupart, est donc pour lui de toute première importance.
Cet « Album agricole » sous-titré « L’agriculture en images » en est un parfait témoignage. C’est un véritable outil pédagogique conçu par Elie Clermont dans lequel l’illustration tient une part prépondérante. Il rappelle en préambule que : « Chacun sait combien les enfants éprouvent d’attrait pour les images et avec quelle facilité ils en perçoivent les plus légers détails. Mettant à profit cette heureuse faculté d’observation, j’ai composé le présent album appelé à présenter l’enseignement agricole sous une forme intéressante et intuitive. Fixé aux murs chacun des tableaux est destiné à concrétiser une leçon théorique et à suppléer par l’image à la vue matérielle et irréalisable des objets. Contrôlées et agrémentées par le défilé des gravures, mes explications sont toujours écoutées avec empressement et profit et je note avec plaisir qu’elles laissent une impression durable dans la mémoire de l’enfant. Ces résultats, des plus réconfortants me dédommagent de la peine que je me suis donnée ». Il se présente sous la forme de 59 planches illustrées destinées à matérialiser les leçons théoriques administrées en classe telles que « les animaux domestiques », « l’étable », « la porcherie », « les instruments aratoires », « la forêt », « le sol », « les engrais minéraux », « le verger », « la plante », « le labour », « le potager », « les céréales » … Toutes les planches sont composées de façon identique. Au recto, on trouve de nombreuses illustrations, gravures couleurs façon images d’Epinal, surmontant un petit texte explicatif ou une citation écrits à la plume. Pour « Le Labour », on trouve par exemple une citation de Lamartine et une morale de La Fontaine mais aussi une présentation du rôle du labour, des divers instruments utilisés à cet effet ou encore des semailles. Enfin, on peut lire au dos de chaque planche, un ou plusieurs textes littéraires, ici « Les Laboureurs » de Lamartine. Tous les aspects de l’agriculture et de la vie rurale sont ainsi abordés.
Elie Clermont présente cet album à l’exposition universelle de Paris en 1900 dans la section « Enseignement spécial agricole ». Il répond ainsi à l’appel à concours lancé par le comité d’admission constitué en 1898, lequel dans une lettre-circulaire exprime « son désir de voir organiser par le corps enseignant une exposition très complète et en même temps remarquable par le choix des travaux présentés, afin que notre Section puisse soutenir avantageusement la comparaison avec les expositions qui seront installées par les nations étrangères. Certains pays possédant un enseignement spécial très développé, il est nécessaire que nous fassions ressortir tous les éléments dont nous disposons en France pour l’enseignement de l’agriculture. […] Le comité vient donc faire appel à tous les membres du corps enseignant pour leur demander de participer à l’Exposition universelle de 1900, en leur recommandant d’apporter le plus grand soin à l’exécution des travaux qu’ils voudront bien présenter2 ». On ignore si cet album a été élaboré spécifiquement pour l’occasion ou si l’instituteur a profité de cet évènement pour présenter un travail conçu dans un premier temps pour sa classe, toujours est-il que la valeur de son travail est officiellement reconnue par l’attribution d’une médaille de bronze.
Document rédigé par Nicolas Laparra
Cote ADC : 88 J 8
1 Elie Clermont : « But et caractère de mon Enseignement agricole » (cote ADC : 88 J 9)
2 Cote ADC : 160 M 5
"Voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois"
lettre de rémission de Louis XV en faveur d'un criminel (1730)
Le document présenté ce mois-ci est une lettre de rémission accordée à Jean Griffeuille, domestique, originaire du village de la Cassaigne (aujourd’hui Lacassagne), paroisse de Labesserette. La lettre de rémission est un acte de la Chancellerie par lequel le roi octroie son pardon, sa grâce ou son indulgence, à la suite d’un crime ou d’un délit, allant contre le cours ordinaire de la justice. Toutefois, si la procédure de rémission exonère le justiciable de sa condamnation, elle n’en n’est pas pour autant une amnistie. Le crime ou délit n’est pas effacé, même s’il est désormais défendu d'y faire allusion et d’en exiger réparation. Sous le règne de Louis XV, le fonctionnement de la justice pénale est régi par l'ordonnance criminelle dite de 1670. Voulue par Louis XIV, cette grande ordonnance est l'un des premiers textes français reprenant de nombreuses règles de procédure pénale. Signée à Saint-Germain-en-Laye en août 1670, enregistrée par le Parlement de Paris le 26 août, c’est en quelque sorte le premier Code de procédure pénale français en vigueur du 1er janvier 1671 jusqu'à la Révolution française. Son titre XVI traite des « lettres d'abolition, rémission, pardon, pour ester à droit, rappel de ban ou de galères, commutation de peine, réhabilitation et révision de procès ». C’est dans ce cadre que le roi peut octroyer ses lettres de rémission.
Comme le rappelle Louis XV en préambule, il est de tradition pour les rois de faire montre d’indulgence et d’accorder leur pardon à certains condamnés lors de grands évènements royaux : « Nous avons crü de[voir] marquer par des mesures de clémen[ce et] de charité l’heureux Evenement de la Naissance de notre très cher et très aimé fils le Dauphin et nous conformer à ce qu’on fait en pareille occasion les Roys nos prédécesseurs ». La naissance du dauphin Louis de France, le 4 septembre 1729, est ainsi l’occasion pour le Louis XV de faire valoir ce droit. « Cependant et pour n’admettre à la participation des graces qui seraient accordées que ceux dont les crimes seraient jugés rémissibles, nous avons donné les ordres et les instructions nécessaires aux commissaires qui ont été par nous députés pour examiner les procès criminels et procéder aux interrogatoires des coupables qui étaient détenus dans les prisons de la ville de Paris ». La procédure prévoit en effet que les prisonniers qui se trouvent dans les prisons des villes où se déroulent les événements en question, dans ce cas présent Paris et Versailles, ou qui ont pu s’y rendre à temps, sont interrogés sous l’autorité du grand aumônier et de maîtres des requêtes commissionnés par le roi. Les raisons de leur détention sont alors consignées dans divers rôles, dont l’un est celui des prisonniers dont les crimes sont jugés rémissibles par les commissaires.
Parmi eux, Jean GRIFFEUILLE, « domestique fils d’un pauvre laboureur du lieu de la Cassaigne en notre province d’Auvergne ». Il est accusé d’avoir accidentellement tué Marie Fabre d’un coup de carabine. La lettre rapporte très précisément les circonstances du drame : « le dix sept octobre mil sept cent sept, étant pour lors âgé de seize ans et trois mois, il revint de son travail sur les quatre à cinq heures du soir en la maison de son père ou ayant aperçu une carabine qu’avait aporté un de ses beaufrères nouvellement arrivé d’Espagne qui lui parut d’une construction particulière, il la prit pour l’examiner. La sœur du suppliant et Delphine Fabre, fille du même village, qui étaient dans la chambre voulurent aussy la voir et lui demandèrent si la carabine était chargée ; le supliant leur dit qu’il ne le croyait pas attendu qu’il n’y avait point de poudre dans le bassinet, cela engagea ladite Fabre à s’approcher de lui et même à prendre par le bout ladite carabine comme pour la luy arracher. Le supliant qui était persuadé qu’elle n’était point chargée, fit de sa part quelques mouvements pour la retenir, lesquels ayant fait partir la carabine, ladite Fabre en reçu le coup dans la poitrine dont elle mourut le lendemain. Et quoique ce malheur fut arrivé par un cas fortuit imprévu et un accident involontaire de la part du supliant, les officiers du présidial d’Aurillac l’ont condamné à mort par contumace ». Cette peine peut paraître sévère à nos yeux mais elle n’est pas inhabituelle en ce début de XVIIIe siècle. En effet, les sanctions appliquées sous l'Ancien Régime, à l'homicide involontaire, sont d'une extrême sévérité. Les notions d'homicides volontaire et involontaire ne sont pas encore clairement séparées en droit et la procédure engagée reste identique. Les juges n’ont pas à tenir compte des circonstances particulières d’un homicide puisque la seule peine prévue est la peine de mort. Jean Griffeuille devait en avoir conscience puisqu’il ne s’est pas présenté à son procès, préférant certainement s’enfuir.
La société d’Ancien Régime conçoit tout de même que l’intentionnalité de l’acte a son importance. L’ordonnance pénale de 1670 prévoit que « les lettres de rémission seront accordées pour les homicides involontaires seulement, ou qui seront commis dans la nécessité d'une légitime défense de la vie ». C’est bien le cas de Jean Griffeuille dont le roi admet qu’il est obligé de « recourir à notre clémence et de nous suplier très humblement de luy accorder nos lettres de grace, remission et pardon qui luy sont nécessaires à ces causes voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois ». L’homicide involontaire est ainsi caractérisé par l'obtention de cette lettre qui met un terme à la procédure engagée : « toutes peines, amandes et offenses corporelles civiles et criminelles qu’il peut avoir pour raison de ce encourües envers nous et justice mettons au néant tous [ ?] sentence et contumaces jugements et arrêts qui peuvent s’en être ensuivis ». De plus, l’accusé est pleinement rétabli « en sa bonne renommée et en ses biens ». Pour pouvoir être authentifiées, ces lettres produites par la grande Chancellerie étaient ensuite scellées d’un grand sceau de cire jaune, lequel n’a malheureusement pas été conservé. Vingt-trois ans après les faits, même s’il n’est pas pour autant innocenté, Jean Griffeuille est désormais libre. Sa liberté et sa vie ne tiennent toutefois qu’à la bonne volonté du monarque « car tel est [son] plaisir ».
La grâce présidentielle inscrite dans la Constitution de la Ve République est un héritage de cette pratique d’Ancien Régime. Comme le monarque, le président a la possibilité de pardonner par le décret de grâce. Mais de moins en moins légitime aux yeux de l’opinion française, et en contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs, son usage s’est peu à peu réduit à des cas exceptionnels.
Document rédigé par Nicolas Laparra
Cote ADC : archives anciennes de l’hôpital d’Aurillac en cours de classement
Pour faire votre beurre, faites du lait propre !
Avec l’ouverture du Salon International de l’Agriculture, le mois de février est l’occasion de mettre en avant la diversité et la qualité des productions agricoles françaises. Parmi celles-ci, la filière laitière est de toute première importance, en particulier pour les agriculteurs cantaliens. Le document présenté ce mois-ci est une plaquette éditée dans les années 1930 par l’Office national du lait dans le cadre d’une campagne de propagande pour un « lait propre ».
Depuis la fin du XIXe siècle et la révolution industrielle qui a bouleversé les habitudes de consommation, les qualités nutritionnelles du lait sont particulièrement mises en avant. Sa consommation en ville ne cesse d’augmenter. Après une distribution artisanale au porte à porte, le commerce s’organise peu à peu pour répondre aux demandes croissantes malgré un éloignement progressif des lieux de production. Cependant les difficultés sanitaires liées à sa production et à sa consommation sont encore fréquents. Le lait tourne très vite et les problèmes de transport et de conditionnement sont permanents, d’autant plus qu’avec l’expansion de l’urbanisation, le lait est transporté de plus en plus loin. En 1939, Georges Aufrère, directeur des Services Agricoles du Cantal, considère que si « le lait est véritablement un aliment complet, puisqu’il renferme à lui seul les quatre facteurs nécessaires à toute ration : 1° Matière grasse ; 2° Matière hydrocarbonnée (lactose) ; 3° Matière protéique ; 4° Des substances minérales »[1], il est aussi « de par sa composition même […] un liquide extrêmement altérable ». A cette date, le modèle dominant est encore la petite exploitation pour laquelle le lait n’est qu’un complément des revenus de la ferme. La production s’opère souvent dans des conditions d’hygiène défectueuses auxquelles s’ajoutent les maladies du bétail, notamment la tuberculose, qui peuvent contaminer le lait.
Ces difficultés sont un frein au développement de la filière laitière. Et comme en témoignent cette plaquette ainsi que le titre de la publication de Georges Aufrère, L’hygiène du lait, dans l’entre-deux-guerres, les pratiques hygiéniques deviennent une préoccupation majeure. Les agriculteurs, premiers maillons de la filière, sont encouragés à produire du « lait propre ». Principal argument en faveur de la propreté, qui peut paraître évident, mais qu’il semble alors bon de rappeler : « le lait propre se vend mieux ». Car si ce dernier se conserve bien, a contrario « le lait sale caille rapidement » et doit être jeté par le consommateur. Même chose pour les dérivés du lait que sont le beurre et le fromage. « Il est très important pour l’industriel de se rendre compte de la valeur hygiénique du lait qu’il est appelé à traiter. C’est d’elle en effet que dépend en grande partie la qualité du produit final. Dans la fabrication du beurre, les goûts anormaux, métalliques, savonneux, de rance, les colorations bleues ou verdâtres, qui apparaissent parfois, sont le fait soit de la présence de mauvais germes dans le lait, soit d’une acidification trop poussée de la crème. […] Il en est de même des odeurs urineuses ou fécaloïdes, des tâches diversement colorées et des diverses pourritures » des fromages dont il faut chercher « la cause dans les mauvaises conditions de récolte du lait »[2].
Pour parvenir à de meilleurs conditions d’hygiène, la plaquette se veut avant tout didactique et propose toute une série de bonnes pratiques à suivre par les producteurs avec un unique mot d’ordre : la propreté. Le mot d’ordre est « propre ». « Un lait propre ne peut être obtenu que : dans une vacherie propre, avec des vaches propres et en bonne santé, traites par un vacher propre et récolté dans des récipients propres ». Cette phrase introductive énonce les quatre facteurs essentiels à considérer dans la récolte du lait : le local où se déroule la traite, la vache, le vacher et les ustensiles utilisés pour la traite. Idéalement, l’étable doit être nettoyée régulièrement et les murs passés à la chaux deux fois par an. Pour éviter que les bêtes ne se salissent, les litières doivent être faites deux fois par jour. Georges Aufrère, conscient des réalités locales, est plus pragmatique : « nous ne sommes pas à une époque où il soit possible de reconstruire des étables modernes, et nous devons tirer le meilleur parti possible d’installations anciennes, parfois défectueuses »[3]. Il recommande en premier lieu d’aérer les étables et de les rendre facilement lavables et désinfectables par une couche de béton strié au sol et par un enduit de ciment aux murs. Il faut ensuite nettoyer la litière chaque jour et éloigner les fumiers de l’étable. Deuxième facteur, les vaches doivent être propres et saines, « étrillées et pansées » mais aussi vaccinées contre la tuberculose encore très fréquente dans les élevages à cette époque. « Les animaux doivent être bien nourris » pour produire plus de lait et éviter de lui donner un goût désagréable. Après l’étable et les animaux, le vacher lui-même doit être propre. La plaquette recommande de se laver « soigneusement les mains » et de nettoyer « les trayons des vaches avant la traite ». Elle propose aussi de leur attacher la queue pendant la traite afin d’éviter de faire tomber des poussières dans le lait. Il faut ensuite filtrer le lait pour éliminer les éventuels débris organiques (poils d’animaux, poussières d’aliments ou de litière) puis le refroidir tout de suite après la traite pour éviter la prolifération des bactéries. Enfin, le vacher « n’utilise que des seaux et des bidons parfaitement lavés et séchés ». La plaquette n’évoque que peu ce dernier aspect qui est pourtant le plus important pour Aufrère. Il considère les ustensiles de traite comme « les grands propagateurs des microbes du lait ». Il préconise des récipients facilement lavables et faciles à égoutter et à sécher. Pour le Cantal, les gerles traditionnelles en bois sont « à rejeter sans merci » !
Paradoxalement, il n’est ici nullement question de santé publique, la plaquette présentant l’amélioration de la qualité du lait sous l’angle du développement économique de la filière et, surtout, de profits à espérer. Il est en effet rappelé aux producteurs que « le lait sale compromet à la ville la consommation du lait, du beurre, du fromage » tandis qu’un « lait propre garnira votre porte-monnaie » !
Cotes ADC : 153 M 1 et 2 BIB 10424.
Document rédigé par Nicolas Laparra
[1] L'Hygiène du lait, Georges Aufrère, directeur des services agricoles du Cantal, 1939, pages 5-7 (cote ADC : 2 BIB 10424).
[2] Ibid, page 18.
[3] Ibid, pages 11-12.
Le drôle de journal d'un cantonnier:
le "livre de raison" d'Alexandre Dages (1906-1945)
« Mes chers parents. Je ne puis pas laisser passer le commencement de la nouvelle année sans vous témoigner le respect et la reconnaissance que je vous dois. Je viens donc vous souhaiter une bonne et heureuse année, et une parfaite santé à tous ». Ces quelques mots de saison ont été rédigés le 6 décembre 1907 par Alexandre Dages, cantonnier à Saint-Urcize. Ils sont repris d’un modèle de « lettre de bonne année » extrait d’un « livre de raison » acquis dernièrement par les Archives du Cantal. Un livre de raison est en principe défini comme un registre de comptabilité domestique où peuvent être reportées d’autres informations, souvent de nature familiale ou locale. Cependant, par extension, ce terme désigne aussi bien les livres de comptes, les journaux et mémoires que les divers livres. Ce modèle de lettre de vœux est un exemple de ce que l’on peut trouver dans ce petit registre, sorte d’aide-mémoire un peu fourre-tout, où des informations en tout genre sont notées selon une logique propre à son rédacteur.
Des pages 58 à 101, Alexandre Dages a ainsi recopié différents modèles de lettres, documents ou contrats utiles à la vie quotidienne : « police entre un propriétaire et un ouvrier », « certificat du maitre envers son domestique », « testament », « bail à maison », « quittance », « lettre de change »… On y trouve aussi des lettres au caractère plus intime comme cette timide « lettre de déclaration d’amour » : « Mademoiselle. J’ai combattu longtemps la plus honorable et la plus respectueuse passion qui jamais est rempli le cœur d’un homme. Souvent j’ai voulu vous la déclarer de vive voix, plus souvent encore j’ai tenté de vous écrire. Mais je n’ai jamais pu trouver assez de courage pour accomplir mon dessein [sic] ». Suivie de près par une lettre bien plus assurée « d’un militaire à sa maîtresse » : « Nous avons parcouru beaucoup de pays mais je n’ai rien encore vu de si beau que toi, ce n’est pas à dire qu’il n’y ait partout des beautés, et j’en ai vu plus d’une qui put me séduire, si je n’avais pas eu le cœur plein de ton image ». Viennent ensuite des modèles de lettres d’amitié, de bonne année ou encore de condoléances.
Dans un tout autre genre, les premières pages de ce registre contiennent une importante collection de chansons populaires. Entre décembre 1906 et décembre 1908, notre cantonnier a ainsi recopié les paroles de 57 chansons, tout en les accompagnant, pour chacune d’entre elles, d’illustrations parfois grivoises, le plus souvent humoristiques, et non dénuées d’un certain talent. En ce sens, ce document est un véritable témoignage de cette culture populaire du début du XXe siècle et peut être utile à l’histoire de la chanson française de la Belle-Epoque. Le répertoire d'alors est essentiellement composé de chansons à thème sentimental, mélodramatique, léger ou de comique troupier ainsi que de chansons grivoises. On peut citer entre autres : « Les cochers de Paris », « Le bonheur des époux », « La fianché du matelot », « Ma fanchette », « Tu m’as trompée », « La noce des nez ». Certaines reflètent aussi l’air du temps comme les chansons patriotiques - « Les rubans de l’Alsacienne » ou « L’orpheline Alsacienne » -, ou anticléricales telles que « La séparation » qui traite de la séparation des églises et de l’Etat avec pour refrain « Des cabotins la France est délivrée, les temps sont venus, le jésuite est vaincu, les cléricaux ont l’âme navrée, l’Eglise a vécu, car des curés il n’en faut plus ». Alexandre Dages reprend ce travail de collecte un peu plus tard puisqu’on retrouve plus loin dans le registre, des pages 137 à 208, plus d’une soixantaine de nouvelles chansons recopiées entre octobre 1909 et décembre 1919.
En plus de ces deux grandes typologies de documents, on trouve aussi des informations à caractère familial et généalogique, plus coutumières des livres de raison : histoire de la famille Calmels, sa famille maternelle originaire de Laguiole (Aveyron), renseignements sur les naissances, mariages et décès des membres de la famille, liste des soldats de la famille « Morts pour la France ». A cela s’ajoute une quinzaine de pages intitulées « Souvenir et anecdotes de la Guerre 1914-1918 ». De la classe 1893, Alexandre Dages est mobilisé le 20 août 1914. Il quitte Saint-Urcize pour la caserne d’Aurillac le 29 septembre, semble-t-il sans véritable inquiétude, se disant « sa ne va pas être long avec que les armes quon a aujourd’hui on va prêté renfort a nos camarades et dan quelque moi on et de retour [sic] ». Père de quatre enfants, dans un premier temps, il n’est pas envoyé au front et reste à Aurillac jusqu’en septembre 1915, en charge, notamment, de la garde des prisonniers allemands. Ce n’est que le 12 septembre qu’il quitte Aurillac pour les tranchées du Pas-de-Calais. Le récit du cantonnier est certes un peu décousu et traite surtout de sa première année à Aurillac et de ses premiers jours sur le front. Il reste tout de même un témoignage original pour à qui s’intéresserait aux conditions de vie et à l’état d’esprit de ces jeunes hommes mobilisés dans les casernes aurillacoises, en attente d’un départ pour le front.
Enfin, ce registre lui sert aussi à noter toutes sortes de renseignements utiles : carnet d’adresses, mesures de chevalement pour la construction de bâtiments, calcul du métrage d’un tombereau, renseignements sur l’achat et la vente de cochons, listes des ouvrages et outils qu’il possède…
Cotes ADC : Archives en cours de classement.
Document rédigé par Nicolas Laparra