Corbeaux et terroristes à Salers sous la Révolution
(2 novembre 1795)

Bien que la Convention ait promulgué la loi du 7 vendémiaire an IV qui autorise les prêtres à exercer le culte, à condition qu’ils aient prêté serment de soumission, elle vote le 3 brumaire suivant, juste avant de s’éclipser, un nouveau décret stipulant entre autres que « les lois de 1792 et 1793 contre les prêtres sujets à la déportation et à la réclusion seront exécutées dans les 24 heures ». Liberté de culte n’est pas synonyme d’amnistie pour les prêtres réfractaires.
Cette simple phrase est un nouveau pavé dans la mare à peine apaisée, et va rapidement enflammer les esprits d’un groupe d’insurgés de Salers et des environs.
La colère de ces hommes et de ces femmes se tourne aussitôt vers les symboles de la République. Très attachés à leur religion dont on avait tenté de les priver, et à leurs curés, qui revêtent bien plus qu’une simple autorité spirituelle, des habitants de Saint-Bonnet-de-Salers et de Salers prennent d’assaut la maison du maire de Salers, Raymond Claux, le 11 brumaire dans la soirée, et exigent que ce dernier leur remette ses armes. C’est sans doute à cette occasion que la lettre anonyme est déposée.

Faute d’avoir pu trouver des armes chez leur première cible, les émeutiers se rendent alors à la maison commune, défoncent le portail et font main basse sur les fusils à baïonnette. Vers minuit, l’attroupement s’est dispersé et le maire sort prudemment de sa tanière pour dresser le procès-verbal de ce qui vient de se passer.
Mais les insurgés n’en ont pas terminé. Dès le lendemain soir, ils sont de retour, armés de leur butin de la veille, de fourches et de faux, et coupent les arbres de la liberté et de la fraternité. Certains auraient même crié « Vive le Roi ! », même si la colère est avant tout dirigée contre les « tyrans » de la République, ennemis de la religion. La lettre n’est en effet pas écrite par un royaliste, au contraire. Les principes républicains sont déjà fortement ancrés dans les esprits, pour lesquels « la loi n’[est] que l’expression de la volonté générale ».
L’émeute se termine de façon tragique : alors que le groupe révolté se trouve chez le procureur de la commune pour réquisitionner son fusil, ce dernier accepte de le leur remettre mais, par sécurité, préfère décharger son unique balle en tirant en l’air. Dans la confusion, le tir part au mauvais moment et touche mortellement l’un des insurgés.
Ayant pris ses jambes à son cou, le procureur échappe de peu à la fureur de la foule. Après une course poursuite rocambolesque, il parvient à se réfugier dans l’église et à se placer sous la protection… du curé, qui fort heureusement n’avait pas été déporté !
38 U 14