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Le comte d'Espinchal & la louve de la Margeride (1835)


Le Conseil général du Cantal a acquis au printemps 2011, grâce à l'aide du ministère de la Culture, les mémoires du comte Hippolyte d'Espinchal (1779-1864). Si une partie de ce texte était connue et publiée (l'émigration et les guerres napoléoniennes), le récit des années postérieures à 1815 est quant à lui inédit. Ce texte est présenté dans la Revue de la Haute-Auvergne parue en juin 2011.


Après la mort de leur fille unique en 1828, le comte et la comtesse d'Espinchal sont plus souvent à Massiac. Très attaché à la terre de ses ancêtres, le Comte est maire de Massiac jusqu'en 1835. Le 14 juillet 1835 ou 1836, il décrit à la vicomtesse M. la course à cheval qu'il fit dans la forêt de Margeride pour préparer l'acquisition de bois propres à la construction de l'usine projetée par son frère. Son objectif était d'arriver au château du « prince de la Tour-d'Auvergne (dont par parenthèse le nom est assez beau pour ne pas y ajouter un titre d'autant plus contestable que le roi n'a même pas voulu le reconnaître) ».

« Déjà j'étais depuis plus d'une heure parcourant des sentiers sans issues par suite des mauvais renseignemens qui m'avaient été donnés pour arriver au château, lorsque tout-à-coup mon cheval s'arrête avec les signes de l'effroi, en soufflant violemment de ses narines et il apparaît à mes yeux une louve enorme au poil hérissé, suivie de trois louveteaux ; fort peu satisfait d'une semblable rencontre et très disposé à céder le pas à cette respectable mère, je m'empressai pourtant de saisir un de mes pistolets et de faire feu sur le groupe, alors des hurlemens atroces, epouvantables, effrayants, m'apprenant que j'avais dû faire une victime, j'enfonce les éperons dans le ventre de mon cheval, le lance au galop, sans tenir compte de la possibilité de me briser la tête contre un arbre, mais sentant tout le danger de ma position envers cette louve en fureur dont les horribles cris semblaient me poursuivre de ses menaces ».

Le cavalier se perd dans la forêt, rencontre deux hommes à la mine patibulaire qui lui demandent de l'argent pour lui indiquer le chemin. Ce sont deux « réfractaires » au service militaire, en qui d'Espinchal soupçonne plutôt des évadés du bagne. Enfin il arrive au château, délesté de ses napoléons d'or, où il est accueilli par l'aimable princesse. Dès le lendemain, il va choisir avec l'intendant les sapins dont il a besoin, non sans visiter la verrerie de la Margeride.

L'officier, qui avait combattu bravement sur tous les champs de bataille d'Europe, ne peut s'empêcher, à la vue de la louve qui révulse aussi son cheval, de faire usage de son arme ; les cris atroces de la bête blessée redoublent la terreur du cavalier et de sa monture. Il y a probablement, dans ce réflexe de défense, la marque de l'antique terreur de l'homme pour le loup, doublée peut-être, puisque la Margeride n'est pas très éloignée du Gévaudan, du souvenir de la Bête, alors encore dans toutes les mémoires. Peut-être est-ce semblable rencontre qui inspira à Vigny son célèbre poème ? Les loups que l'on aperçoit aujourd'hui dans le massif central proviennent d'Italie par les Alpes – sans parler des « Loups du Gévaudan », élevés dans le parc de Saint-Léger-de-Peyre (Lozère).

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
À poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve.

Alfred de Vigny, La mort du loup (1838).

ADC, 1 J 823/2

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