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1611 - Cadeaux de Noël des consuls aurillacois

 

 

On s'imagine, à tort, que le rituel des cadeaux de Noël est emprunté aux Rois Mages, venus remettre des présents à la naissance de Jésus de Nazareth. Les origines de cette tradition sont pourtant bien antérieures à la chrétienté et on en retrouve des traces dès la Rome Antique : « il était ainsi de coutume de s’offrir le jour du solstice d’hiver des étrennes – des pièces, du miel, des dattes… –, gages de bons augures pour les mois à venir : sans être vraiment religieuse, une dimension spirituelle présidait donc déjà à cette pratique », explique Nadine Cretin, historienne des fêtes, spécialisée en anthropologie religieuse[1]. On ne parle pas encore de cadeaux mais d’étrennes, du nom de la déesse Strena, que l’on honorait lors des calendes de janvier. Ce n’est qu’au IVe siècle qu’est officiellement instaurée la fête chrétienne de Noël, fixée au 24 décembre du calendrier romain, qui célèbre la Nativité. Au Moyen Âge, le jour de Noël, venant conclure la période de privation qu’est l’Avent, donne souvent lieu à un repas de fête au cours duquel les convives s’échangent des étrennes, notamment des victuailles. Le cadeau de Noël, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, n’apparaît qu’au milieu du XIXe siècle et ne se démocratise que dans la seconde moitié du XXe siècle.
Toutefois, comme en témoigne le document (comptes de noel et sa transcription) présenté en ce mois de décembre, cette tradition est déjà bien présente à Aurillac au début du XVIIe siècle, au moins pour une partie de la population. Il s’agit de la liste des sommes dues par les consuls d’Aurillac à l’apothicaire Hélis Gaffet, pour, entre autres dépenses, « le présant ord[inai]re que la ville a accoustume faire la veilhe de Nouel 1611 ». Les apothicaires, précurseurs des pharmaciens, préparaient et vendaient des breuvages et médicaments pour les malades. Longtemps en concurrence avec les épiciers, ils voient leur supériorité consacrée, en 1514, par une ordonnance de Louis XII : « Qui est épicier n'est pas apothicaire, qui est apothicaire est épicier ». Au XVIIe siècle, l'apothicaire compte parmi les plus notables des bourgeois, tant par son appartenance à une corporation influente qu’en raison des denrées précieuses qu’il commercialise. En cette année 1611, c’est à lui que s’adressent les consuls aurillacois pour leurs achats de Noël.
Depuis le XIIIe siècle, la ville d’Aurillac a obtenu le droit de s’administrer de manière autonome et pour partie affranchie de la tutelle du seigneur abbé de Saint-Géraud. Dans la partie sud de l’actuel territoire français, cette administration communale d’Ancien Régime est désignée sous le terme de consulat. En 1611, les consuls aurillacois sont au nombre de trois : Jean Chanut, François Ganthier et Jacques Verdier. Comme il semble être de coutume à la lecture du texte, ils offrent divers présents pour Noël : « Pour M[onsieu]r le lieutenant général ung pain de sucre Pezant deux livres et demy Deux boyttes de dragée pezant 1 [livre] Ung quart yppoccras », « A m[onsieu]r le prédicateur 1 quart yppoccras », « A mess[ieur]s de Textoris, Cambefort Casses Et Savy audicteurs de comptes, ung Quart a chascung », « A mess[ieur]s Castel juge Contrastin pro[cureu]r Et Borie greffier de la ville ung quart A chascung », « A m[essieu]r Destannes advocat pour partie des services Randus à la ville ung quart yppocrras Deux boyttes de dragée ». Ce document, comme plus généralement l’étude des comptes consulaires, révèle un principe de gestion essentiel mis en exergue par les historiens : les consuls consacrent une grande partie de leur budget aux libéralités. Il peut s’agir, comme ici, d’honorer et de remercier des personnages importants et influents, utiles au pouvoir. Le don est un instrument de conservation du pouvoir. D’autant plus, que depuis 1584 et une ordonnance d’Henri III, les consuls sont élus dans les derniers jours de décembre, communément le vendredi d’après Noël. Les fêtes de Noël sont une occasion supplémentaire pour les consuls de faire preuve de prodigalité.
Ce texte est un parfait exemple de cette « politique du présent ». Il tient aussi le compte des « présants tant a mess[ieu]rs de Genicourt et de St-Germain commissaires depputtés pour sa mag[es]tté en ce pais que a M[onsieu]r le gouverneur père prédicateur ». Le père Jésuite se voit offrir le 27 novembre : « Demy [livre] escorsse de cittron », « Demy livre conserve de roze », « Une [livre] d’une confection de dragée de Verdun », « Demy [livre] de chair de cittron », « Demy [livre] de confictures seches » et « Ung quart yppoccras ». Les conserves de roses, le plus souvent de Provins, étaient une préparation médicinale employée pour son pouvoir astringent dû au quercitrin et au tanin. Les dragées, quant à elles, auraient été créées par un apothicaire de Verdun, en 1220, afin de faciliter le transport des amandes en les enrobant de sucre et de miel. Enfin, l'hypocras est une ancienne boisson à base de vin, sucrée et aromatisée aux épices. Et comme « ledict Prédicateur estant indispozé de sa voix », les consuls lui offrent à nouveau le deux décembre : « Une once de sucre candi blanc », lequel était utilisé en thérapeutique dès le XIe siècle comme pectoral, une « once de poudre de duc », mélange de cannelle, gingembre, cardamone, girofle et sucre, ainsi que du « sirop de limone ». Cette apparente générosité n’est sans doute pas désintéressée. On sait par ailleurs, que depuis plusieurs années, les consuls aurillacois cherchent à obtenir des jésuites qu’ils acceptent de diriger le collège de la ville fondé au XVIe siècle[2]. Ces présents sont un moyen d’entretenir de bonnes relations avec les jésuites.
On notera tout de même, que comme « charité bien ordonnée commence par soi-même », les consuls n’oublient pas de s’octroyer pour Noël « ung quart yppoccras A chascung ».

Cotes ADC : Archives anciennes de l’hôpital d’Aurillac en cours de classement.
Document rédigé par Nicolas Laparra


[1] « Quelle est l’origine des cadeaux de Noël ? » : https://www.la-croix.com/Definitions/Fetes-religieuses/Noel/Quelle-est-l-origine-des-cadeaux-de-Noel
[2] La vie municipale à Aurillac de 1360 au début du XVIIe siècle / Anne-Marie Boisset, thèse de l’école des Chartes, [1938], page 403.

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