Agenda 2019

  Sangsues, potions cordiales et compresses: les premiers soins aux ouvriers blessés à la fin du 19ème siècle

202305

                                                                                                                              

Le document proposé ce mois-ci est une note présentant une série d’instructions à suivre pour « les premiers soins à donner aux ouvriers blessés sur les chantiers ». Elle a été produite par l’administration des Ponts et Chaussées et découverte dans les archives de la subdivision de Maurs en cours de classement. C’est un document intéressant à plus d’un titre puisqu’il est une source non seulement pour l’Histoire de la santé et de la sécurité au travail, mais aussi pour l’Histoire des premiers secours. Sa date d’impression, à savoir la décennie 1890, ajoute à son intérêt puisque nous sommes alors aux prémices de ces deux objets d’études historiques.
C’est au cours de la révolution industrielle du XIXe siècle que la question du rapport entre santé et travail commence à se poser de façon plus prégnante, conséquence du libéralisme effréné qui sévit à cette époque. Les rapports au travail reposent alors sur une base exclusivement contractuelle. Le contrat de travail fait naître à la charge de l’ouvrier une obligation d’exécuter le travail qui lui est confié, et à la charge de l’employeur, une obligation de payer le prix convenu. En France, dans la première moitié du XIXe siècle, il n’y a pas ou très de peu de législation encadrant les conditions de durée, d’hygiène et de sécurité au travail. Il faut attendre le 9 avril 1898 pour qu’une première loi organise la réparation des accidents du travail. Elle va peu à peu inciter les employeurs à se pencher sur les conditions de travail des ouvriers et à prendre en compte leur sécurité, afin d’éviter les accidents mais aussi de remettre au travail le plus rapidement possible les blessés.
Ce document, très développé et très précis quant aux divers soins à apporter aux blessés, est un document précurseur. Il ne s’agit plus seulement de prévenir les accidents mais d’essayer d’en limiter la portée. Dans certains secteurs professionnels, comme ici les travaux publics, les accidents font partie de l’expérience des ouvriers. S’il apparaît impossible de les supprimer, limiter leurs conséquences sur la santé des travailleurs représente un enjeu pour les employeurs. C’est dans ce contexte que l’administration des Ponts et Chaussées édite cette note qui « sera remise à chaque surveillant, à chaque entrepreneur, à tous les chefs de chantier, et restera affichée dans les bureaux des Ingénieurs, des Agents-voyers et des Entrepreneurs ». L’objectif est bien d’informer le plus grand nombre possible d’ouvriers sur les différentes conduites à tenir en cas d’accident.
Il s’agit de les guider dans les premiers soins qu’ils peuvent apporter à un collègue blessé dans l’attente de l’arrivée d’un médecin. A cette époque, avec des moyens de communication limités et sur des chantiers parfois éloignés, cela pouvait prendre plusieurs heures : il était donc plus que nécessaire de savoir prendre en charge une personne blessée en attendant le médecin. La première recommandation « est de l’isoler et de la placer sur un brancard ou sur un matelas dans un endroit bien aéré, et à l’abri du froid et de l’humidité ». Le document donne ensuite diverses instructions en fonction du type de blessure rencontré. Par exemple, en cas de fractures, blessures que l’on imagine fréquentes sur les chantiers : « Quand un os est cassé, s’il n’y a pas de plaie, on doit maintenir le membre dans l’immobilité la plus complète ; opérer une irrigation d’eau froide. Si la fracture est compliquée de plaie avec issue d’un ou plusieurs fragments, on lave la plaie avec soin avec de l’eau ». Il s’agit là de gestes de bon sens que l’on pourrait encore pratiquer de nos jours. Mais les recommandations ne s’arrêtent pas à ces simples soins : « On tâche de faire rentrer les fragments au moyen de tractions douces et régulières sur chaque extrémité du membre fracturé et en un sens opposé, et, si l’on réussit on maintient la fracture en place au moyen d’un bandage ». On imagine aisément la complexité d’un tel geste médical qui n’est pas à la portée du premier venu. L’auteur du texte, prévenant, précise tout de même qu’il faut agir avec douceur !
Sont aussi abordées, entres autres pathologies, l’apoplexie (aujourd’hui accident vasculaire cérébral – au remède bien particulier), mais aussi l’asphyxie, la perte de connaissance, les brûlures, les contusions, les hémorragies ou encore les empoisonnements, avec en regard les premiers soins à pratiquer et à l’inverse les gestes à éviter. Si la grande majorité d’entre eux sont encore effectifs, comme l’application d’un point de compression en cas d’hémorragie, certains peuvent nous paraître aujourd’hui désuets, inappropriés ou inefficaces, bien que conformes aux connaissances médicales de l’époque. En cas de mal de tête, on notera ainsi parmi les mesures plus habituelles (obscurité, calme, infusions calmantes, sinapismes ou cataplasmes à la moutarde…) l’usage d’éther, de chloroforme mais aussi d’ammoniaque. On propose encore, afin de traiter une luxation, d’appliquer un mélange d’alcool camphré et d’ « extrait de saturne »… qui n’est rien de moins qu’une préparation à base de plomb, ce dernier trouvant plus aisément sa place au sein de la pharmacopée d’autrefois.
Ce document, assez exhaustif, peut donc sembler très ambitieux, en proposant par exemple comme on a pu le voir de remettre en place une fracture, mais il donne tout de même une série de recommandations utiles, parfois essentielles, à appliquer en cas d’urgence. La limite principale à l’efficacité de ce type de conseils est bien sûr la qualité de leur mise en application. Elle dépend essentiellement du niveau de compétences médicales, mais aussi des ressources matérielles dont dispose la personne qui va administrer les premiers soins. À la fin du XIXe siècle, le terme de « secouriste » n’existe pas. Sur les chantiers, il n’y a pas d’ouvriers formés à ces techniques. Le rédacteur de cette note semble en avoir conscience. Dans le cas des brûlures, il rappelle par exemple que « les soins à donner pour les deux derniers degrés ne doivent être abandonnés qu’à des personnes intelligentes et comprenant la nature et la valeur des remèdes employés ». Aussi, en toute fin du document, il prend soin aussi de préciser : « Ces instructions, tout incomplètes qu’elles sont, doivent suffire aux personnes étrangères à la Médecine, et il leur est expressément recommandé de ne pas aller au-delà ». 

Cote ADC : archives de la subdivision de Maurs (11 S 10)

Document rédigé par Nicolas LAPARRA                                                                                 

                                                                                                                                            
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  A la recherche du confort moderne: températures préconisées et ressenties à l'hôpital d'Aurillac (vers 1891)

                                                                                                                              

Entre réchauffement climatique et crise énergétique, la période actuelle est à la sobriété énergétique. Une des mesures emblématiques proposées dans les différents plans de sobriété est la baisse de la température de chauffage de nos intérieurs. Les nombreux débats suscités par cette question et l’importance qui lui a été accordée dans les médias à l’automne dernier montrent bien qu’il s’agit d’un sujet sensible. Quelle est la température idéale permettant d'allier confort thermique et économies d'énergie ? Il s’est peu à peu dégagé un consensus autour d’une température moyenne de 19° C. Trop chaud pour certains, trop froid pour d’autres, elle semble correspondre à la température acceptée de nos jours par le plus grand nombre : toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi.

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Le document présenté ce mois-ci, et découvert lors du classement des archives anciennes de l’hôpital d’Aurillac, est un tableau de la température à obtenir dans les différentes pièces de l’asile d’aliénés suite à l’installation d’un système de chauffage central. Ainsi, les températures intérieures prévues en période de froid (température extérieure de - 10° C) varient de 12° à 15° C selon les pièces : 15° C pour l’infirmerie, les bains, les cellules et le logement du gardien mais seulement 12° C pour les bâtiments accueillant des malades. On peut noter que les différents bâtiments sont affectés en fonction de la pathologie des patients qu’ils accueillent : « contagieux », « tranquilles », « agités », « gâteux » ou « épileptiques ». On remarque aussi que la terminologie employée a fortement évolué depuis la fin du XIXe siècle avec les progrès de la psychiatrie.

Longtemps situé dans le quartier des Carmes, l’hôpital déménage en 1892 vers son site actuel de l’avenue de la République. En 1876, la municipalité acquiert les terrains des enclos Combes et Sarret qui serviront pour la construction du nouvel hôpital-hospice entre 1890 et 1893. C’est dans ce contexte qu’est prévue l’installation du chauffage central à l’asile d’aliénés. L’architecte Lucien Magne, en charge des travaux, rédige un rapport sur les divers systèmes proposés pour le chauffage avec l’emploi, au choix, de l’air chaud, de l’eau chaude ou de la vapeur. Bien qu’il n’ait pas sa préférence, mais compte-tenu de la modicité du budget dont il dispose, Lucien Magne opte pour le chauffage par circulation d’eau chaude. Il le présente tout de même comme un progrès en regard du chauffage avec poêles dont il nous dit que « l’usage est presque complétement abandonné aujourd’hui » puisqu’ils ont « l’inconvénient de donner un chauffage inégal » et « sont donc insuffisants pour satisfaire aux nombreuses exigences des établissements hospitaliers ». Pourtant, dès 1893, dans un courrier du 19 janvier, l’autorité militaire se plaint du chauffage des salles et chambres dévolues aux militaires. Une convention entre le département de la Guerre et la commission administrative de l’hospice stipule que la température devra être maintenue à 15° C. Mais le médecin-chef signale qu’en ce mois de janvier, malgré le chauffage, elle ne dépasse pas les 6° C : « Il estime, en outre, qu’il y aurait lieu pour suppléer à l’insuffisance du chauffage, de faire placer immédiatement dans les salles, comme il l’a réclamé à plusieurs reprises, des poêles dont on ferait provisoirement passer le tuyau par le carreau d’une fenêtre »

Ces températures peuvent nous paraître aujourd’hui, pour le moins très fraîches, voire glaciales, selon le ressenti et les habitudes de chacun. Ces dernières décennies plusieurs historiens se sont intéressés à ces questions et ont étudié l’évolution de notre sensibilité au froid à travers les âges. L’historien Olivier Jandot qui a notamment travaillé sur le XVIIIe siècle rappelle que « quand on lit les témoignages de l'époque […] : on est face à un univers qui est complètement différent du nôtre, aussi bien sur le plan des températures qui régnaient à l'intérieur des habitations, que des sensations durables, du rapport au froid qui était complètement différent ». Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que naît l'idée de température de confort. « On commence à réfléchir à la question du chauffage car on est dans une période de crise énergétique. La rareté croissante du bois à cause des besoins de la marine et de l'industrie naissante fait qu'il devient de plus en plus cher. Une partie de la population n'y a plus accès », ajoute l'historien. Pour la première fois, on réalise des mesures de températures et les médecins considèrent qu'une température de 12° C à 15° C chez soi est tout à fait acceptable.

Ce n'est qu'à partir du XXe siècle que la valeur des températures préconisées augmente. Le seuil des 19° C se fixe autour des années 1970, jusqu'à monter progressivement à 20°C. Renan Viguié, autre historien, a établi une courbe des températures préconisées pour le chauffage de la pièce principale des habitations au XXe siècle. S’appuyant sur diverses sources, de la littérature technique et éducative, de la documentation juridique mais aussi publicitaire, il a mis en évidence que la température idéale est en réalité une construction sociale et culturelle, répondant à des « considérations qui peuvent être techniques, mais aussi morales, médicales, sociales, environnementales ou économiques ».

En France, ce sont les chocs pétroliers des années 1970, et les politiques de réduction de la consommation d’énergie, qui ont conduit à un processus de normalisation des températures intérieures. Au vu des dernières recommandations gouvernementales, il semble que nous l’ayons oublié, mais dès 1974 la loi fixe une température maximum autorisée dans les logements de 20° C, puis 19° C en 1979. La diffusion de cette norme par le haut ne doit pas occulter l’influence des consommateurs, de leurs pratiques et de leurs habitudes quotidiennes. Ces débats sur la nécessité d’une sobriété énergétique auraient pu aboutir à un retour aux normes de confort de la première moitié du XXe siècle avec une température de 15-16° C. La température couramment admise aujourd’hui, autour des 19° C, est donc le fruit d’un compromis entre cette volonté de sobriété et les pratiques sociales qui font qu’on imagine mal aujourd’hui un retour aux normes du début du XXe siècle, pourtant bien plus économes et moins polluantes.

Sources : « Une courbe pour bien se chauffer. Les températures de chauffage préconisées au XXe siècle » par Renan Viguié, dans Flux, 2020, n° 121, pages 102 à 107 ; Les délices du feu. L’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne par Olivier Jandot. – Edition Champ Vallon, 2017, 352 pages.

Note rédigée par Nicolas LAPARRA                                                                                 

                                                                                                                                            
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  Une mauvaise graine à Aurillac :

le portrait haut en couleurs d'un spéculateur en blé (fin XVIIIe siècle)

                                      2023 01 01                                                                                        

Le document présenté ce mois-ci est remarquable tant par son originalité que par sa rareté. Pièce unique, conservée dans les collections iconographiques des Archives du Cantal, cette affiche manuscrite mêle satire, ironie et caricature. Elle est anonyme et nous ignorons malencontreusement sa provenance ainsi que sa date exacte. Plusieurs éléments nous permettent toutefois de rattacher ce document au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, vraisemblablement à la période du Directoire (1795-1799). En effet, le texte fait référence tout à la fois au franc, devenu l’unité monétaire officielle en 1795 en remplacement de la livre, et à la « carte », unité de mesure agricole utilisée sous l’Ancien Régime et dont l’usage a perduré encore quelques années après la mise en place du système métrique sous la Révolution. La caricature présente au bas de cette affiche est un autre élément de datation possible qui tend à confirmer l’hypothèse de la fin du XVIIIe siècle puisque le personnage représenté semble vêtu à la mode de l’époque.
Ce personnage, ainsi caricaturé, est un dénommé Mégemont que l’auteur accuse de spéculer sur le prix du blé. Affublé du charmant sobriquet de « La Crotte », qualifié tour à tour de « butor », « filou », et de « grand usurier », il aurait profité d’une période de « grande nécessité » pour acheter du blé à Aurillac, provoquant ainsi une hausse des prix. C’est là une grave accusation tant on sait que le commerce et l’approvisionnement en blé sont un des sujets très sensibles tout au long du XVIIIe siècle. Les céréales, nécessaires à la confection du pain, sont la base de l’alimentation des Français. Toute hausse des prix provoquée par une mauvaise récolte ou par la spéculation est donc dangereuse. Or, ce siècle marqué par le petit âge glaciaire compte de nombreux hivers extrêmement rigoureux auxquels font suite plusieurs périodes de disette et même parfois de famine : le tout aggravé par une spéculation intense sur le prix de la nourriture en général et surtout des céréales. Pour l’historien américain Steven Kaplan, le « pain est l’un des plus grands acteurs de l’Histoire de France ». Révoltes et insurrections, que l’on qualifierait aujourd’hui « d’émeutes de la faim », sont fréquentes lorsqu’il vient à manquer. Le contrat social informel unissant le « Roi nourricier » à ses sujets contraint celui-ci à subvenir à leur alimentation à travers une politique d’approvisionnement fondée sur un contrôle strict du commerce des grains.
Confrontés à cette forte réglementation sous l’Ancien Régime, les marchands de grain exercent un métier difficile. Ils sont obligés pour commercer, de demander une autorisation aux officiers de police et tiennent un registre de leurs opérations. Ils n’achètent librement que sur les marchés ouverts et fermés à heures fixes, après que se sont servis boulangers et particuliers. Ils n’ont pas le droit d’acheter directement chez les producteurs, ne peuvent s’associer et doivent déclarer leurs stocks. Les années de mauvaise récolte, les autorités font dresser des états estimatifs, imposent la vente forcée, puis tarifiée. Les intendants, cours de justice et autorités municipales fixent un prix maximum pour chaque sorte de grain. Les pouvoirs publics, soucieux du maintien de l’ordre, favorisent le consommateur aux dépens du producteur et des marchands. Cette question est encore plus prégnante à Aurillac. Le Cantal est un pays de pâturages qui possède un important cheptel bovin mais il n’a jamais été un département producteur de blé et sa production ne suffit pas à nourrir les habitants. La ville, qui compte alors près de 10 000 habitants, dépend entièrement de l’extérieur pour les subsistances et doit acheter la presque totalité du grain qu’elle consomme. Son approvisionnement en blé est une préoccupation majeure des autorités municipales tout au long du XVIIIe siècle.
Le 29 août 1789, l’Assemblée constituante rompt avec la réglementation d’Ancien Régime et décrète la libre circulation et le libre commerce des subsistances. Cette liberté semblait devoir favoriser les départements non producteurs, toutefois dans le Cantal les difficultés d’approvisionnement subsistent. En témoigne cet extrait de la correspondance du procureur syndic du district de Mauriac : « Les marchés ne sont pas approvisionnés, les cultivateurs préfèrent vendre leurs grains à des marchands qui les revendent ensuite entre mains à des prix exorbitants » (30 messidor an III ; ADC, L 504). Les freins économiques demeurent : production faible, enclavement et coûts de transport trop élevés. La libre circulation ne suffit pas à résoudre les difficultés de ravitaillement. Pire, en raison du manque de grains, la liberté du commerce profite aux marchands au détriment des consommateurs. C’est ce que l’auteur de l’affiche reproche au dénommé Mégemont : « à Aurillac il a été faire emplette de blé. Bon comme un bon père qui arrache la bouche à ses enfants pour lui la manger en même-temps […] Avant le voyage de Mégemont fait, à cinq francs la carte vous l’avez mangé. Douze sous de plus vous donnerez depuis que Mégemont fait le grand usurier ».
Quel que soit le système économique en place, Aurillac, dont la production de céréales est insuffisante à nourrir sa population, manque de grains. Le pouvoir municipal a dû composer avec les différentes directives du pouvoir central et n’a eu de cesse de chercher à ravitailler la ville. Les changements de régime économique : réglementation ou libre circulation ne modifièrent en rien cette situation. Dans la pratique les pouvoirs publics ont toujours été contraints d’intervenir en continuant de réglementer et de subventionner le prix du pain. Une de leurs préoccupations constantes est d’assurer la subsistance des plus pauvres, autrement dit de la majorité de la population. C’est à ce prix qu’ils parviennent à maintenir l’ordre et à éviter de graves émeutes ou soulèvements. Toute proportion gardée, le contexte actuel de forte inflation n’est pas sans rappeler cette situation, et si comparaison ne vaut pas raison, l’énergie d’aujourd’hui est peut-être le pain d’hier !

Cote ADC : 1 Fi 359

Source : « La question des subsistances dans la commune d'Aurillac, de 1788 à 1795 » par R. Rieuf dans Revue de la Haute-Auvergne, 1945 pages 307-329 et 1947 pages 46-68 et 100-111.

Document rédigé par Nicolas LAPARRA                                                                                    

                                                                                                                                            
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  D'une guerre à l'autre : quatre générations d'hommes sous les drapeaux

                                                                                                                              

Si les archives personnelles liées aux deux guerres mondiales, abondamment collectées et valorisées depuis plusieurs années, sont désormais légion dans les services d’archives, rares sont celles qui permettent de mesurer l’impact qu’a pu avoir la rapide succession des conflits entre 1870 et 1962, sur les familles françaises. Le fonds Georges Tourlan a ainsi pour particularité d’être composé de divers documents (livrets militaires, correspondance, photographie, diplômes, etc) relatifs à quatre générations d’hommes, chacune d’entre elles ayant servi la France au cours d’un conflit armé.

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Tout d’abord, Jean Bac, arrière-grand-père maternel du donateur, est cultivateur à Péruéjouls, commune de Marmanhac. Son livret militaire indique son incorporation à la Garde mobile d’août 1870 à mars 1871. La Garde nationale mobile, créée par la loi du 4 février 1869, est constituée de tous les jeunes hommes qui ont tiré « un bon numéro » lors du recrutement et qui n’ont pas à faire leur service actif ; ils peuvent en revanche être mobilisés en cas de guerre. Aussi, suite aux premières défaites lors de la Guerre franco-allemande, l’armée fait appel à cette réserve pour renforcer les troupes. La Garde mobile participe entre autres au siège de Paris avant d’être dissoute le 25 avril 1871.

Marié le 7 avril 1870 à Pauline Lapié, Jean a trois filles dont Jeanne, mariée à Géraud Lacarrière, grand-père maternel de Georges.202302 2

 

Géraud est, malgré la naissance de 5 enfants, mobilisé le 4 août 1914 pour partir au Front. Quelques cartes écrites à son épouse, ainsi que son livret militaire indiquent qu’il ne sait ni lire, ni écrire : il est très probable que ce dernier ait fait appel à la plume d’un camarade, lui-même peu lettré, pour rédiger ses missives. Toutefois, un certificat accordé par le maire de Marmanhac en août 1917, lui permet d’être détaché aux travaux agricoles. En effet, en dépit de la bonne volonté des femmes pour s’occuper des champs, en effectuant notamment les récoltes et les battages, le recours à la main d’œuvre militaire est obligatoire pour permettre aussi bien l’alimentation des troupes que des civils. Géraud est donc mis en sursis agricole le 22 décembre 1917.

 

Autre combattant ayant participé à la Première Guerre mondiale, Jacques Tourlan, grand-père paternel du donateur. Parti au Front le 10 août 1914, sa fiche matricule indique qu’il est blessé une première fois le 29 août à Rambervilliers (Vosges) par une « balle au pied droit ». Il retourne au combat le 14 octobre 1914 avant d’être blessé à nouveau au mollet gauche en mars 1916, au bois des Corbeaux lors de la bataille de Verdun. Il est ensuite ajourné et de nouveau hospitalisé pour « angine et oreillons ». À la fin de la guerre, il se voit affecté à la Compagnie des chemins de fer d’Orléans, tout d’abord en qualité d’homme d’équipe puis comme conducteur. Il reçoit la médaille militaire par décret le 28 février 1936. Marié le 22 juin 1912 à Jeanne Paucot, il a trois fils dont Durand, père de Georges.

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Serrurier de profession, Durand est mobilisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale. Il est fait prisonnier à Autun (Saône et Loire) le 16 juin 1940. Interné sous le numéro 92036 au stalag XVII A, en Autriche, il correspond avec son épouse, Antoinette Lacarrière, de façon régulière durant toute sa captivité. Ainsi, il raconte ses différentes tentatives d’évasions, en août et octobre 1942 : « j’ai abandonné pour blessure au talon je ne pouvai plus marcher pourtant jen été pas bien loin du but j’été à 30 km de la Suisse enfin la chance n’a pas voulu de moi » [sic]. Suite à ces essais d’évasions et aux actes de sabotage qu’il commet sur les chantiers de travail, il est transféré au stalag 325 de Rawa Ruska (Ukraine), camp de représailles et de punitions. Il y reste jusqu’en juillet 1943 date à laquelle il est transféré dans un nouveau camp en Allemagne. Il tente une nouvelle fois de s’évader, en juin 1944 : « Je suis parti un mercredi avec deux copains pour l’aventure pendant la traversée de Frankfurt à Metz tout a bien marché pas d’anicroche rien, nous étions trop confiant car a 200 mètres de la frontière il nous arrivent par derrière un douanier révolver au poing qui nous arrêtés nous n’avont pas fait de bruit ni de menace aussi nous avons été bien traité » [sic]. Il est finalement rapatrié le 21 avril 1945 et retrouve son épouse et ses deux enfants : Jacqueline et Georges. Plusieurs documents attestant de son engagement lui sont par la suite délivrés : carte du combattant, carte de combattant volontaire de la résistance, carte d’interné déporté.

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Georges, le donateur du fonds, est pour sa part appelé en Algérie. En effet, de 1954 à 1962, un nombre important d’appelés du contingent participe à cette guerre. Georges arrive en Algérie en novembre 1959 et se trouve affecté à la poste aux armées dans différentes localités : Béni- Messous, Souk Ahras, Bône. Il entretient avec sa mère une correspondance très régulière et y raconte différents aspects de sa vie quotidienne : le temps, la nourriture, son travail, sa santé, ses rencontres avec différents camarades cantaliens mais aussi l’atmosphère et les tensions qui existent. Ainsi le 26 mai 1960, il écrit « comme la semaine d’avant des jours-ci cela va mal sur la frontière mais cette fois-ci c’est plus loin car on entend à peine les canons…ce matin j’ai croisé les renforts de la Légion » [sic]. Le 13 décembre, il raconte les importantes manifestations qui ont eu lieu : « ce sont un groupe de manifestants européens et un groupe musulman qui allaient à la rencontre l’un de l’autre. Ils allaient se rencontrer sur une place où se trouvaient les légionnaires. Ces derniers ont tiré en l’air. C’est alors que des européens se sont affolés et se sont précipités vers un camion de la Légion pour s’y abriter. Ce véhicule était gardé par d’autres légionnaires qui voyant des manifestants si prochent et les croyant animé de mauvaises intentions leur ont tiré dessus » [sic]. Un mois avant son départ, le 16 décembre 1961, il raconte « la nuit nous entendons de nombreux coups de feu. A Bône, cela devient infernal » [sic]. Enfin, le 3 janvier 1962, il écrit : « Ces temps ci cela va assez mal en Algérie un peu partout mais je pense que cela n’ira pas loin je crois que c’est la fin » [sic]. Il revient en métropole en janvier 1962.202302 5

Entrées aux Archives du Cantal par voie de don en août 2022, ces pièces témoignent ainsi de manière très personnelle du vécu de combattants mêlés, bien souvent malgré eux, aux conflits de leurs siècles respectifs et dont la somme des histoires individuelles permet d’enrichir l’écriture de la « Grande » Histoire.

Cote ADC : 116 J 1 à 32 ; 1 R 1489 ; 1 R 1607 n°1461 ; 1 R 1681 n°2041 ; 1 R 1824 n°70 et 2258 W 13 n°30455.

Note rédigée par Laure BARBET                                                                                   

                                                                                                                                            
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  Vengeance et pillage dans les bois de Salers :

un plan coloré dressé pour le seigneur de Mazerolles (1669)

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Encore rare au cours des siècles précédents, l’usage du plan se répand à la fin de l’Ancien Régime. Outre sa valeur esthétique, le plan, devenu plus précis et technique, devient un outil efficace d’administration, mobilisé dans un premier temps pour la description et la gestion des seigneuries. Progressivement, il fait aussi son apparition dans le domaine judiciaire où il vient prendre sa place au sein des dossiers de procédure : preuve à part entière ou simple aide visuelle à l’usage des magistrats, ces plans ont servi à éclaircir des affaires et à faciliter la prise de décision. Les plans judiciaires d’Ancien Régime conservés aux archives départementales du Cantal remontent pour l’essentiel au XVIIe et, surtout, au XVIIIe siècles : celui que nous présentons ici est donc exceptionnel non seulement pour son ancienneté, mais aussi pour les acteurs qu’il implique.2022-12-2.jpg

Car c’est le seigneur de Mazerolles qui, par l’entremise de son avocat, utilise le plan comme un outil supplémentaire pour remporter son procès. L’affaire oppose donc Annet de Scorailles, seigneur et baron de Mazerolles, paroisse de Salins, à Pierre André de la Ronade, lieutenant général du bailliage des Montagnes d’Auvergne à Salers, associé au syndic du collège des jésuites de Mauriac. Ce plan est joint à un factum imprimé, c'est-à-dire un mémoire dirigé contre un adversaire, ici un mémoire rédigé par Milanges, avocat de M. de Scorailles, en appel d’une sentence du sénéchal d’Auvergne rendue le 2 mars 1669.

Annet de Scorailles est le gendre du seigneur de Salers, famille rivale des André de la Ronade. Le siège du bailliage des Montagnes d’Auvergne, précédemment établi à Saint-Martin-Valmeroux, fut transféré à Salers en 1564. Les seigneurs de Salers n’apprécièrent guère de voir s’installer dans leur cité la justice royale, symbole de l’autorité du roi. Depuis lors les rivalités ne cessèrent de s’accroître entre la famille de Salers et les officiers du bailliage, car ces offices de judicature ne tardèrent pas à donner naissance à des familles riches et honorées, assez puissantes pour faire ombrage au seigneur. À Salers, comme ailleurs, apparait cette noblesse dite de robe, dont la famille André de la Ronade est un parfait exemple, et qui peu à peu devait rivaliser avec l’ancienne noblesse des seigneurs, dite d’épée. Ces deux familles ne vont cesser de s’opposer tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, réglant leurs différends aussi bien par les armes que devant les juges. L’objet de la présente affaire présenté par l’avocat d’Annet de Scorailles, tout en semblant anodin, témoigne de l’ampleur de cette querelle : « Le lieutenant général au Bailliage, ennemy juré dudit seigneur de Salers, aussi bien que de l’appelant son gendre, par un motif de vangeance auroit invité tous les habitants de Salers, à dégrader deux Bois dépendans de cette terre, l’un appelé le Bois de Segret, l’autre le Bois de la Béralde, ou la Béralde de la Veyssière, conformément disoit il, à l’Arrest de la Cour des grands jours qui en auroit ordonné la dégradation ». Il faut, pour comprendre l’arrêt dont il est question, se souvenir que quelques années auparavant, en 1666, le marquis de Salers, fut reconnu coupable de meurtre et condamné par contumace à la peine capitale par les Grands Jours d’Auvergne, tribunaux exceptionnels créés pour réprimer les abus commis par une partie de la noblesse de province. Les officiers du bailliage, parmi lesquels Pierre André de la Ronade, profitèrent de cette opportunité et instruirent ce procès avec zèle, poussant activement l’affaire aux Grands Jours de Clermont.

Cette peine fut suivie d’une sentence ordonnant de raser le château seigneurial « à trois pieds du sol » : c’est sur celle-ci que s’appuie le lieutenant général pour justifier les dégradations. Or, pour l’avocat d’Annet de Scorailles il s’agit là d’un « artifice malicieux ». En 1666, il obtient une ordonnance du sénéchal d’Auvergne interdisant aux habitants de Salers et autres de dégrader les dits bois à peine de 500 livres d’amende. Mais malgré cette décision, les dégradations continuèrent. Le 5 mars 1668, Pierre André de la Ronade aurait ainsi « assemblé vingt paires de bœufs […] et envoyés avec des bouviers dans la béralde de la Veyssière, pour faire un convoi éclatant de vingt charretées de bois, et servir d’exemple à tous ceux qui voudraient l’imiter ». Toujours selon l’avocat, « convaincu de ce pillage ; mais pour se tirer de ce mauvais pas », le sieur de la Ronade fit intervenir les jésuites du collège de Mauriac en leur laissant entendre qu’ils avaient des droits sur la dite béralde. La sentence du sénéchal d’Auvergne du 2 mars 1669, sur laquelle porte cet appel, donne raison aux jésuites comme possesseurs de la montagne et bois de Masseport dont ferait partie la béralde de la Veyssière. Ce mémoire a donc pour objet de prouver le contraire : « Que si la cour se veut donner la peine d’entrer dans l’examen particulier des diverses confinations desdits Béraldes et titres des parties, elle trouvera que celle dont il s’agit est établie par tous les titres de l’appelant, et qu’elle est confinée d’orient par la Montagne et Béralde de Combru et Béralde de Masseport : d’Occident par la Montagne d’Auzet : de Midy par la Montagne de Masseport : de Septentrion par la Montagne de la Veyssière ruisseau entre deux ». Afin de faciliter la compréhension de la situation, le plan traduit en images la description rédigée de ces voisinages. À l’appui du plan et du factum, Annet de Scorailles présente plusieurs titres qu’il « auroit négligé de produire » lors du premier procès considérant que conformément à la coutume d’Auvergne « une possession paisible de trente ans, vaut titre et tient lieu de droit constitué ».

Nous ignorons quelle suite fut donnée à cette requête et si ce plan permit de convaincre le juge de la sénéchaussée, c’est toutefois un bel exemple des premiers plans judiciaires conservés par les Archives du Cantal.

 

Cote ADC : 118 F 40

Pour aller plus loin : « Une querelle à Salers entre gens de robe et d’épée au XVIIIe siècle » / Vicomte de Miramon-Fargues, dans Revue de la Haute-Auvergne, 1899, pages 41-53.

« Images de la justice : des plans au service du droit », exposition virtuelle en ligne sur le site des Archives du Cantal

Document rédigé par Nicolas LAPARRA                                                                                    

                                                                                                                                            
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