Adhésion

"Voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois"

lettre de rémission de Louis XV en faveur d'un criminel (1730)

Le document présenté ce mois-ci est une lettre de rémission accordée à Jean Griffeuille, domestique, originaire du village de la Cassaigne (aujourd’hui Lacassagne), paroisse de Labesserette. La lettre de rémission est un acte de la Chancellerie par lequel le roi octroie son pardon, sa grâce ou son indulgence, à la suite d’un crime ou d’un délit, allant contre le cours ordinaire de la justice. Toutefois,......[Lire la suite]

Plaidoyer du curé de Saint-Cirgues-de-Jordanne : 
une révolte passive contre les inventaires de 1906


 

« Je brandirai mon gourdin et gare ! » C’est ainsi qu’Arsène Vermenouze envisageait de recevoir le délégué aux inventaires en 1906, se souvient le duc de la Salle de Rochemaure dans son opus A la mémoire de Jean-Arsène Vermenouze. Cette question des inventaires a en effet fait frémir plus d’un catholique français, même si les réactions sont souvent plus résignées, comme nous le montre cette lettre du curé de Saint-Cirgues-de-Jordanne, l’abbé Reyt, datée du 20 février 1906.

Organisant la séparation des Eglises et de l’Etat, la loi du 9 décembre 1905 dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Elle vient rompre le Concordat de 1801 qui avait établi les fabriques, établissements publics composés de clercs et de laïcs gérant les biens et les revenus d’une église. Avec la loi de 1905, les fabriques sont dissoutes et remplacées par des associations cultuelles de laïcs. A défaut d’association, comme ce fut le cas dans toutes les communes du Cantal, la gestion de l’église revient au maire.
     
C’est pour encadrer ce changement qu’est rédigé l’article 3, qui prévoit qu’un inventaire contradictoire des biens conservés dans les églises sera établi par des agents de l’administration des domaines : statues, ciboires, encensoirs, tout est répertorié. Cet article, ainsi que son décret d’application daté du 29 décembre 1905, a l’effet d’une bombe parmi les fidèles catholiques. L’intervention de « contrôleurs » de l’Etat dans les églises mêmes, perquisitionnant les sacristies et forçant jusqu’aux portes des tabernacles, est perçue comme une violation. « Nous n’avons, nous chrétiens, rien de plus précieux et de plus cher que nos églises ; porter sur elles une main sacrilège, c’est nous blesser dans le plus intime de nos âmes », plaide l’abbé Reyt.

La révolte des catholiques est soutenue et encouragée par la sévère réaction du pape Pie X, qui condamne dans son encyclique Vehementer nos la dissolution du Concordat et l’abandon de la gestion administrative des églises aux mains de laïcs. Dans certaines régions des paroissiens s’opposent, fourche à la main, à l’arrivée du délégué à l’inventaire, avec des conséquences parfois funestes.
Les événements sont plus calmes dans le Cantal, où la révolte est majoritairement passive : refus d’assister à l’inventaire, refus d’ouvrir les portes de l’église, ou encore envoi d’un courrier au délégué. C’est cette option que choisit l’abbé Reyt : il laisse deux fabriciens le représenter lors de l’inventaire, et adresse au délégué une lettre qui traduit son sentiment. Même si « la tristesse qui est peinte sur [les] fronts, ce silence sévère, disent [au délégué] bien mieux que les plus beaux discours la grande douleur que […] cause [sa] triste mission », l’abbé Reyt s’essaie malgré tout à un plaidoyer que l’emphase littéraire rend poignant. Au travers de ce prisme, les paroissiens de Saint-Cirgues sont perçus comme une famille unie autour d’un objet de vénération commun, l’église. Non pas la religion, mais la maison de Dieu dans toute sa matérialité : lorsque des travaux de restauration ont été nécessaires, raconte le curé, chacun a spontanément et équitablement contribué à la dépense, apportant « le riche sa généreuse offrande, le pauvre son obole ». Cette société idéale, de laquelle l’abbé Reyt se fait le porte-parole, se voit donc spoliée de ce qu’elle a de plus cher, et pour lequel elle est pourtant « disposé[e] à faire tous les sacrifices, celui même de [leur] vie s’il le fallait ».

Cependant l’abbé Reyt est aussi bon chrétien qu’écrivain, il se refuse donc à user de violence envers son prochain. L’ « esprit de paix et de conciliation » de l’Eglise lui dicte de ne pas s’opposer à l’accomplissement de la mission du délégué à l’inventaire, même s’il la condamne. C’est sur cette note œcuménique que s’achève la lettre de l’abbé, signée également par le président et le trésorier de la fabrique.
On reconnaît à travers ce document une plume érudite, maîtrisant les effets de style, habituée à composer des sermons. Le vocabulaire, qui tourne autour de la douleur et de la tristesse, victimise à loisir les paroissiens de Saint-Cirgues-de-Jordanne. Mais malgré tous ces artifices littéraires, l’abbé Reyt transcrit des sentiments qui lui sont sincères, et de manière plus personnelle que la plupart de ses confrères. D’autres lettres ont été envoyées par les curés cantaliens aux délégués à l’inventaire, mais aucune n’a l’originalité de celle de Saint-Cirgues. Elles ont visiblement été composées à partir de deux modèles qui circulaient d’une paroisse à l’autre.

Quoiqu’il en soit, aucun de ces plaidoyers n’aura pu enrayer l’établissement des inventaires, qui sont aujourd’hui conservés aux Archives départementales. Ils viennent d’être numérisés et mis en ligne sous la cote 47 NUM.

 

ADC 3 SC 7256


 

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